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Colonialisme voilé : La réconciliation symbolique en Nouvelle-Zélande

Esther Shana Boulanger

Esther Shana Boulanger

Photo: Samuel Rillstone, RNZ
Photo: Samuel Rillstone, RNZ

Le 14 novembre dernier, le parlement néo-zélandais a capté l’attention internationale : Hana-Rawhiti Maipi-Clarke, membre du parti d’opposition, a interrompu le vote d’un projet de loi controversé en réalisant une danse traditionnelle māorie, le haka. La vidéo[1] a fait le tour des réseaux sociaux, car elle met en lumière les tensions persistantes entre l’État et le peuple māori, malgré la réputation internationale de la Nouvelle-Zélande comme modèle de réconciliation. Ainsi, quelle est la face cachée de cette réconciliation aux apparences exemplaires?



Le mouvement de renaissance māori

Dans un contexte de colonisation et d’assimilation soutenue depuis l’arrivée des colons britanniques au 19e siècle, la culture māorie se voyait menacée. Pour lutter contre cette menace, une nouvelle génération māorie s’est soulevée dans les années 1970 par un mouvement de renaissance dont l’objectif était la survivance physique et culturelle du peuple māori. Grâce à un activisme mobilisant la scène internationale et locale, le mouvement a obtenu des avancées significatives, notamment la reconnaissance du Te Reo Māori comme langue officielle en 1987 (Stokes, 1992, p.184) et l’établissement d’écoles immersives māories. Ce sont ces avancées qui sont considérées, à travers le monde, comme un modèle de réconciliation à suivre. 


En revanche, cette reconnaissance culturelle masque une stratégie qui reste essentiellement symbolique. En fait, le mouvement décolonial māori est bien plus complexe et profond : bien qu’il ait des revendications culturelles et identitaires, il comprend aussi et surtout des revendications de nature territoriale et d’autodétermination (Mutu, 2020). La survivance māorie n’est pas possible sans protection du territoire. L’État néo-zélandais fut très efficace pour conserver son assise coloniale tout en se déresponsabilisant et en contournant la question de l’autodétermination autochtone; il a centré la réconciliation dans son discours comme dans ses actions, avec des mesures qui ont invisibilisé les revendications territoriales et souveraines. 


En d’autres mots, la Nouvelle-Zélande a pu choisir les revendications qui n’affectent pas profondément ses structures coloniales. Parallèlement, les Māoris continuent de faire face à des inégalités profondes : ils représentent 50 % de la population carcérale (IWGIA), bien qu’ils ne constituent que 17 % de la population totale. (Stats, 2023) Les projets extractivistes menacent toujours leurs terres, comme en témoigne le conflit autour du territoire d’Ihumātao, site ancestral ayant été vendu à une entreprise privée pour un projet immobilier en 2016. (Newton, 2018) Deux réalités s’opposent donc, l’une illustrant la réconciliation avancée par l’État colonial, l’autre la face cachée de cette dernière, soit l’abstraction volontaire de la lutte māorie pour la protection du territoire et pour un réel changement structurel et décolonial. 



Le Traité de Waitangi

Par ailleurs, cette double face de la réponse étatique peut notamment s’expliquer par une exploitation stratégique des faiblesses des documents légaux, plus spécifiquement du Traité de Waitangi. Signé en 1840 entre la Couronne britannique et le peuple māori, il s’agit d’une entente qui avait comme objectif d’assurer les droits sur le territoire aux Anglais face à la menace des autres puissances coloniales, tout en garantissant des droits importants au peuple māori. Il représente un pilier des revendications autochtones, mais il contient également des faiblesses. Bien qu’il soit traduit en anglais et en langue māorie, les deux versions ont des disparités importantes (Van Meijl, 1993). Par exemple, la version māorie garantit une « pleine chefferie » des territoires au peuple māori, tandis que sa version anglaise limite cette garantie à une simple « possession paisible » (Horning & Baumbrough, 2021). Ces divergences de traduction, combinées au manque de rigueur quant au respect du traité, permettent au gouvernement de contourner ses engagements. Le Traité de Waitangi ne peut ainsi fournir un outil puissant pour les Māoris que si ceux-ci militent et exercent la pression nécessaire pour le faire honorer (dans sa version māorie) et le maintenir en place. 


C’est précisément ce qui s’est produit le 14 novembre dernier. Le nouveau projet de loi (Treaty Principles Bill) amené au parlement prévoyait redéfinir les grandes lignes du traité de Waitangi. En fait, il viendrait accorder les droits spécifiques du peuple māori dans les accords du Traité à tou-te-s les citoyen-ne-s néo-zélandais-es. Ce traité est donc continuellement attaqué ou mis de côté pour éliminer son aspect distinctif et réduire le pouvoir du peuple autochtone. Toutefois, le travail acharné et continu d’activistes māori-e-s, comme le démontre la prise de position d’Hana-Rawhiti Maipi-Clarke au parlement, oppose une résistance forte aux tentatives des décideurs et décideuses politiques.


Tout cela doit être analysé pour comprendre comment cette image d’égalité et de conditions favorables pour les Māoris de la Nouvelle-Zélande ne témoigne, finalement, que d’une réalité désolante : même les cadres définis comme les plus progressistes ne garantissent pas une véritable justice sociale ou égalité structurelle pour les peuples autochtones.



Au-delà de la réconciliation performative

Une réflexion sur le mouvement de renaissance māori et la réponse de l'État colonial soulève des questions fondamentales sur la manière dont les sociétés contemporaines abordent les enjeux de justice et de souveraineté autochtone. La réconciliation, ne pouvant réellement transformer les dynamiques de pouvoir colonial, devient un outil de maintien du statu quo. Si cela est vrai dans un pays qui est supposément le plus égalitaire en ce qui a trait aux rapports autochtones-allochtones, qu’est-ce que cela signifie pour la réconciliation ici, au Canada? Les deux pays partagent des similitudes : l’utilisation d’une reconnaissance culturelle pour masquer des inégalités structurelles et une approche performative de la réconciliation. Pour aller au-delà d’une simple réconciliation, une transformation structurelle, une autodétermination absolue et une décolonisation véritable sont nécessaires – en Nouvelle-Zélande comme au Canada.



[1]  La vidéo est disponible sur Youtube, notamment au lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=N__OF41CqoY 




BIBLIOGRAPHIE


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Horning, D., & Baumbrough, B. (2021). Contributions to urban Indigenous self-determination: the story of Neeginan and Kaupapa Māori. The Australian Journal of Indigenous Education50(2), 393–401. doi:10.1017/jie.2020.26


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