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L'Empire de l'image quand la forme l'emporte sur le fond dans nos démocraties

Frédéric Pigeon

Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Frédéric Pigeon



Les démocraties occidentales ont progressivement vu l'image prendre une place centrale dans le discours public. Ce phénomène, largement accentué par l'essor des médias visuels et des réseaux sociaux, pose la question suivante : l'image a-t-elle pris le pas sur les idées dans nos démocraties contemporaines ? Pour répondre à cette question, il est essentiel de comprendre comment l'image est devenue prédominante, d'en analyser les conséquences, et de considérer les limites et les résistances face à cette tendance.


L’avènement de la communication visuelle a transformé la manière dont les citoyens des démocraties occidentales reçoivent et consomment l’information. La télévision, dès les années 1960, puis plus récemment, internet et les réseaux sociaux ont bouleversé les modes traditionnels de transmission des idées. L'une des premières illustrations de cette transition est le débat télévisé durant l’élection présidentielle américaine de 1960 entre John F. Kennedy et Richard Nixon. Ce débat a marqué un tournant dans la politique américaine, car les spectateurs et spectatrices qui ont écouté-e-s le débat à la radio ont majoritairement estimé que Nixon avait gagné, tandis que ceux qui l'ont regardé à la télévision ont jugé Kennedy vainqueur, impressionnés par son apparence et son aisance à l'écran.[1]


La culture de l'immédiateté joue également un rôle crucial dans cette évolution. En effet, À une époque où tout doit aller vite, où l'attention du public est de plus en plus limitée, l'image, par son impact direct et instantané, devient le vecteur privilégié de communication. Par exemple, lors de sa campagne pour le congrès en 2018, Alexandria Ocasio-Cortez a utilisé une image de campagne de nature révolutionnaire, ce qui a contribué à sa victoire surprise sur le vétéran démocrate, Joe Crowley.[2] C'est ainsi que le monde politique a dû s'adapter, intégrant de plus en plus l'image dans ses stratégies, au point de faire de la communication visuelle un élément central des campagnes électorales.


Dans ce contexte, les politicien-e-s sont désormais jugés autant, sinon plus, sur leur apparence, leur charisme visuel, et leur capacité à susciter des émotions par l'image que sur la solidité de leurs propositions. Cela s’illustre parfaitement avec Donald Trump aux États-Unis : ses tweets percutants, souvent accompagnés d'images ou de vidéos, ont capté l'attention des médias de masse et du public, évinçant souvent les débats de fond sur ses politiques. L'image est devenue un raccourci puissant, capable de définir une opinion en quelques secondes, rendant les idées plus difficiles à transmettre et à défendre.


Cette domination de l'image n'est pas sans conséquence pour le débat démocratique. L'une des premières est la simplification du discours politique. Les idées complexes, qui nécessitent souvent du temps et de la nuance pour être comprises, sont réduites à des slogans accrocheurs et des images frappantes. Nous pouvons penser au slogan « Make America Great Again » de Trump, accompagné de sa casquette rouge iconique ou le slogan « Gros Bon Sens » de Pierre Poilievre, a dans les deux cas, encapsulé une promesse vide de sens mais émotionnellement puissante, éclipsant des discussions plus approfondies sur les moyens de redynamiser le pays. Cela favorise donc une approche superficielle des enjeux, où la forme l'emporte sur le fond, et où le débat est remplacé par le spectacle.


La manipulation de l'opinion publique est une autre conséquence directe de cette prévalence de l'image. Les images peuvent être utilisées pour créer des perceptions trompeuses, amplifier certains aspects d'une réalité tout en en occultant d'autres. Elles deviennent des outils de propagande, où la vérité peut être modifiée, voire fabriquée, pour servir des intérêts particuliers. Un exemple marquant est la diffusion de fausses informations, ou «fake news», souvent accompagnées d'images trompeuses, qui se propagent rapidement sur les réseaux sociaux. Pendant la campagne du référendum sur le Brexit en 2016, une fausse affirmation a circulé, notamment via un bus rouge arborant l'inscription : «We send the EU £350 million a week. Let’s fund our NHS instead.» Cette affirmation était trompeuse, car elle ne tenait pas compte des rabais britanniques et des subventions européennes reçues par le Royaume-Uni. Malgré cela, cette image a joué un rôle clé dans la campagne, influençant de nombreux électeurs et électrices à voter pour le Brexit sur la base de cette promesse de rediriger les fonds vers le NHS (Service national de santé). Ce n’est qu’après le référendum que les responsables de la campagne ont admis que ce chiffre était incorrect.[3]


Cette domination de l'image mène également à une dépolitisation progressive de la société. En effet, Les citoyen-ne-s, exposé-e-s en permanence à des flux d'images séduisants mais souvent vides de sens, tendent à devenir des spectateur-ice-s passif-ve-s plutôt que des acteur-ice-s engagé-e-s du débat public. Le débat d'idées, qui exige réflexion et participation active, est relégué au second plan, tandis que le « zapping » d'une image à l'autre devient la norme. Un exemple de cette tendance est la popularité des mèmes politiques sur internet, qui, bien que divertissants, réduisent souvent des sujets complexes à des caricatures simplistes.


Malgré la domination croissante de l'image dans le paysage démocratique, des initiatives émergent pour restaurer l'importance des idées et encourager un débat plus réfléchi. L'éducation aux médias joue un rôle clé dans ce processus, en particulier pour les jeunes générations. Par exemple, Il est offert comme cours à option au Québec. Un cours d’éducation aux médias qui aident les étudiants à se donner une approche critique des médias.


L'éthique dans la communication visuelle est un autre domaine crucial pour contrer la prééminence de l'image. Les médias et les créateur-ice-s de contenu sont de plus en plus forcé.e.s à respecter la vérité et à éviter les manipulations. L'initiative NewsGuard en est un exemple notable, évaluant la crédibilité des sites d'information en fonction de leur transparence et de leur exactitude. En fournissant aux lecteur-ice-s des outils pour distinguer les récits fiables des contenus trompeurs, NewsGuard contribue à un environnement médiatique où les idées peuvent reprendre une place centrale.[4] Ces efforts, bien que modestes face à la puissance de l'image, sont essentiels pour préserver la qualité du débat public et encourager une démocratie fondée sur la réflexion plutôt que sur les apparences dans une société où l'information, véridique ou non, voyage extrêmement vite.


Pour conclure, l'image a indéniablement pris une place prépondérante dans les démocraties occidentales, souvent au détriment des idées. Ce phénomène, favorisé par l'évolution des médias et la culture de l'immédiateté, a conduit à une simplification du discours politique, à une manipulation accrue de l'opinion publique, et à une dépolitisation progressive de la société. Cependant, des résistances existent, et il est encore possible de rééquilibrer l'importance de l'image et des idées en sensibilisant les citoyen-ne-s, en encourageant le débat intellectuel, et en promouvant une éthique dans la communication visuelle. Le défi pour les démocraties occidentales est de réinventer ce rapport entre image et idée, afin de garantir un débat public riche et éclairé dans un monde de plus en plus dominé par le visuel. 


____________


[1]  Philippe Bernier Arcand, Je vote moi non plus: pourquoi les politiciens sont les seuls responsables du cynisme et de la désaffection politique, Amérik Média, 2009

[2]  Diana Budds, The brilliance of Alexandris Ocasio-Cortez’s bold campaign design. Vox. 2018. 

[3]  Crisp, James, « Jean-Claude Juncker says 350M bus slogan was a lie as deputy calls Brexit Britain « Game of Thrones on steroids» The Telegraph. 16 mai 2019. https://www.telegraph.co.uk/politics/2019/05/16/350m-brexit-bus-slogan-lie-says-jean-claude-juncker/ 

[4]  Franceinfo avec AFP. « NewsGuard, un service qui veut lutter contre la désinformation en ligne, fait son arrivée en France ». 22 mai 2019, https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/newsguard-un-service-qui-veut-lutter-contre-la-desinformation-en-ligne-fait-son-arrivee-en-france_3455297.html 



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