Xavier Barrette
2019, on est tous.tes descendu.e.s dans les rues aux côtés de notre grande Greta. Certain.e.s ont même osé y voir un héritage des grèves étudiantes de 2012. On se croyait fort.e.s, invincibles. La lutte était grande mais on y arriverait, un vendredi de manifestation à la fois, une petite brosse à dents en bambou à la fois.
Je me souviendrai longtemps du regard méprisant de mon prof de math de l'époque, Gérald (nom pas fictif afin d'illustrer le personnage). Il parcourait chaque jour le kilomètre le séparant de son lieu de travail en F-150, ce qui pour lui, était beaucoup plus raisonnable que de faire l'école buissonnière pour défendre une cause. En fait, selon lui, en plus que l'enjeu de notre lutte n'ait aucune valeur (F-150 l'oblige), notre action, elle, était complètement inutile. Et aujourd'hui, je me fais parfois peur en le rejoignant sur ce dernier point. Il m'est de plus en plus difficile de croire au pouvoir de nos luttes. Qu'on soit 10, 10 000 ou 10 000 000, j'ai trop souvent l'impression qu'on ne comptera jamais assez pour que les dirigeant.e.s penchent en notre faveur, en faveur de la vie.
La preuve, malgré les manifestations et les avertissements répétés, chaque matin, les nouvelles sont plus décourageantes que la veille. Et pour illustrer mes propos, je vous propose ici, une liste (non-exhaustive) des luttes auxquelles l'humanité fait face en ce moment, et auxquelles la jeunesse est exposée au quotidien, dans les médias pour les plus chanceux.ses, dans la réalité pour celleux qui le sont moins.
Inaction occidentale face au génocide en Palestine;
Escalade militaire entre l'Ukraine et la Russie;
Inégalités socio-économiques auxquelles font face les communautés autochtones;
Coupures budgétaires en santé et en éducation au Québec;
Renversement de la démocratie au Myanmar;
Inaction en matière de salarisation des stages;
Les déboires de tout projet de transport en commun / la CAQ en général;
Montée en popularité des alpha males;
Racisme systémique;
Abolition des droits des femmes en Afghanistan;
Montée de la droite politique;
Victoire de Donald Trump;
Effritement de la démocratie (pas au profit du communisme);
Croissance du nationalisme raciste;
Montée des eaux;
Multiplication des discours haineux à l'égard des personnes immigrantes, des femmes, des personnes qui ne correspondent pas à un système binaire de genres et autres groupes marginalisés;
Enrichissement de la classe dominante;
Hausse du coût de la vie;
Crise du logement;
Sous-financement du milieu communautaire et culturel;
Inaction climatique;
et la liste pourrait continuer longtemps.
C'est à croire qu'Hydro a coupé le courant dans le département de la lueur d'espoir. Faites le test, demandez à quelqu'un de politisé ce qui va mal en ce moment dans le monde et la réaction instantanée sera probablement un gros «ouf».
Gérald (mon prof au F-150) aura beau essayer de se faire rassurant en me rappelant que chaque génération en a eu des luttes à mener, et qu'elle estimait chacune d'entre elles plus grave que la précédente, j'ai la prétention d'affirmer que là, la jeunesse commence à en traîner pas mal des luttes sur ses épaules. Et pas des petites.
Puis bin la jeunesse s'épuise.
En matière d'environnement, le défaitisme a fait son nid chez moi. Peut-être par débordement face à la quantité de luttes à mener, ou par découragement climatique en phase terminale, j'ai emboîté le pas vers le clan de Gérald mais pas complètement non plus. Je dis «pas complètement» parce que malheureusement, chemin faisant, je n'ai pas gagné la légèreté d'esprit qui accompagne généralement l'abandon du combat (et qui mène par la bande à l'achat d'un pick-up diesel). En effet, le département de la culpabilité lui demeure toujours bien éclairé, en mode néon blanc froid, gracieuseté de l'establishment qui réussit toujours à me faire croire que c'est un peu de ma faute tout ça!
Alors en attendant patiemment la fin, je vais continuer de manger mes blocs de tofu trop chers. Je vais continuer de perfectionner la chorégraphie nécessaire pour les maintenir en équilibre dans mes bras quand j'aurai encore oublié d'emporter mon tote bag au slogan écolo-anarcho-révolutionnaire en allant à l'épicerie et qu'il serait absolument immonde de fléchir à la vue d'un sac en papier. Je vais continuer de payer le 2 $ de plus pour ma p'tite brosse à dents en bambou. Puis quand ce sera à mon tour de pourrir dans un CHSLD où une seule infirmière sous payée s'occupera des 4819 patient.e.s, avec un peu de chance, j'aurai encore la conviction nécessaire pour croire que mourir seul aura été un petit prix à payer pour ne pas avoir voulu mettre d'autres enfants sur Terre.
Hélas, cet abandon ne m'allège pas beaucoup. La lutte aux changements climatiques n'est pas notre seul champ de bataille, bin non, il en reste des dizaines d'autres! Mais ces luttes-là, je n'arrive pas à les laisser tomber. Même si j'ai perdu espoir en notre pouvoir face aux changements climatiques, je refuse de succomber au défaitisme quand on parle de droits humains. Peut-être est-ce parce que c'est plus concret? Ou bien parce que c'est plus enrageant de savoir que «nos» dirigeant.e.s pourraient quasi instantanément changer l'avenir de million d'humain.e.s et qu'ils et elles choisissent chaque jour de ne pas le faire? Mais non, je crois que simplement, je refuse de croire que le mal ait à ce point réussi à gangrener le peuple qu'on refuse maintenant de simplement prendre soin les un.e.s des autres en tant qu'humain.e.s. Je refuse de croire que nos cerveaux soient rendus lisses à ce point.
Je suis forcé de croire que tout n'est pas perdu et qu'on a encore une once de raison, parce qu'on l'entend dans la population, le gros bon sens survit toujours. Le peuple a encore ce qu'il faut pour gagner la lutte: la raison, le nombre et le droit. Et ça quand j'en doute, j'aime bien relire cette citation de Alan Moore: "People should not be afraid of their government. Governments should be afraid of their people."
Et alors, je me permets d'espérer.
Parce qu'au final,
le peuple a toujours eu le gros bout du bâton
et un jour, on va leur faire comprendre.
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