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Catherine Lemire

L’enjeu de l’immigration à l’ère de la CAQ

Violence systémique et exacerbation des politiques restrictives


Photo : Une famille s’apprête à franchir la frontière canado-américaine, Roxham Road.
Photo : Une famille s’apprête à franchir la frontière canado-américaine, Roxham Road¹.

La question de l’immigration, depuis quelques années, occupe une place grandissante dans la sphère politique québécoise, et spécialement lors des campagnes électorales². En effet, l’émergence de la Coalition Avenir Québec (CAQ) en 2012 a marqué un changement dans l’approche autour de la question de l’immigration au Québec³.


La CAQ a contribué à la politisation croissante de l’immigration, qui, depuis, est devenue l’objet d’une polarisation partisane, et a même constitué un thème électoral central de la dernière campagne de 2022. Les récents développements sur la fermeture du chemin Roxham accentuent encore la visibilité de cet enjeu, alors que Justin Trudeau a tout juste actualisé l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui rend désormais les 8900 km de frontière canado-étatsunienne illégaux à traverser à pied. L’impact de cette décision est indicible, alors qu’en 2022, 39 171 personnes ont bénéficié des passages irréguliers qui permettaient aux migrant-e-s de traverser la frontière canadienne⁴. Ce court article, toutefois, s’intéresse davantage au contexte québécois, qui tend, dans la même lignée, à adopter des politiques restrictives vis-à-vis de l’accueil de nouveaux-elles arrivant-e-s. La particularité du contexte sous-national du Québec — comme province francophone minoritaire au sein d’une fédération anglophone — a effectivement été instrumentalisée à plusieurs reprises lors de la dernière campagne électorale, afin de perpétuer une vision de l’immigration comme d’une menace à la culture québécoise.


Contexte sous-national


D’abord, la particularité du contexte québécois est à considérer dans la façon dont l’immigration est abordée plus largement au Québec. Le contexte québécois est caractérisé par le pouvoir de l’État en matière d’immigration, augmenté considérablement en 1991 par l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains. En effet, malgré le fait qu’il ne soit qu’un gouvernement sous-national, le Québec jouit du pouvoir inédit de sélectionner les migrant-e-s qu’il accueille, de même qu’il est gestionnaire des services d’intégration offerts à ces dernier-e-s. Cet accord, qui reconnait la spécificité du Québec comme nation minoritaire, permet à la province francophone d’élaborer ses propres politiques en matière d’immigration qui, bien qu’elles varient selon les partis, sont ancrées dans l’interculturalisme. Caractéristique de la peur de l’effacement d’une minorité, de la peur de la perte de la langue française et de l’histoire québécoise, l’interculturalisme repose sur une vision de l’immigration qui prône l’intégration complète des migrant-e-s à la culture nationale. Les nouveaux-elles arrivant-e-s, en effet, doivent s’adapter à langue nationale française et aux valeurs distinctives de la nation québécoise et sont enjoint-e-s à prioriser la culture de ladite « terre d’accueil » à la leur. Développé dans les années 1980 au Québec, l’interculturalisme — dont les pierres de touche sont la laïcité et la francisation — s’impose comme l’emblème de la conception de l’immigration au Québec, alors que c’est la préservation la culture québécoise qui prime sur le besoin d’accueillir de nouveaux-elles arrivant-e-s.


Le nationalisme identitaire renouvelé de la CAQ


L’émergence de la CAQ sur la scène politique québécoise, qui réussit à centrer l’immigration comme un enjeu électoral déterminant, démontre le rôle actif que détiennent les partis dans la définition de l’identité nationale¹⁰. En effet, la réorientation des débats constitutionnels autour de la laïcité, de la langue française et de la culture québécoise dans les années 2000 témoigne du rôle actif de la CAQ dans la (re-) construction d’une identité nationale dans un contexte post-référendum, articulée autour d’un présumé besoin de « protection » de l’identité québécoise. Ce nationalisme caquiste renouvelé, qui instrumentalise le contexte national minoritaire des francophones au Canada, véhicule des discours d’exclusion à l’égard des migrant-e-s, et renforce l’association de l’immigration à celle d’une menace culturelle.


C’est d’ailleurs ce que témoignent les remarques de Legault dans les médias, qui, plus d’une fois, ont suscité grande controverse. Le premier ministre, en effet, a qualifié la possibilité d’augmenter l’immigration de « suicidaire » pour ladite « nation québécoise »¹¹. Ce dernier a également amalgamé immigration, violence et extrémisme, avant d’affirmer qu’« il y a une façon de vivre chez nous et on veut la garder »¹².


La résurgence de la droite en Occident


Ce qui nous incombe comme responsabilité, à la lumière de ces affirmations, est de s’attarder à la violence systémique qui est véhiculée par de tels discours, qui encouragent la xénophobie et la haine vis-à-vis des migrant-e-s. Une récente étude effectuée au Québec révèle que les actes haineux à caractère xénophobes, de même que la scène d’extrême droite québécoise, sont en hausse considérable depuis la deuxième moitié des années 2000¹³.


La question de l’immigration, en effet, constitue depuis quelques années un thème fédérateur de haine, entretenu et politisé par des partis nationalistes, tels que la CAQ, entre autres, qui — à l’aide de projets de loi tels que la loi 21, ou la plus récente loi 96 — contribuent au renforcement d’un racisme institutionnalisé qui continue pourtant d’être nié¹⁴.


Les cas du Québec — comme du Canada — qui se targuent indûment d’être des « terres d’accueil et d’ouverture », s’ajoutent à la longue liste des provinces et États qui alimentent l’exacerbation des politiques restrictives en matière d’immigration à laquelle on assiste depuis quelques années en Occident. La dernière annonce de Trudeau avec la fermeture du chemin Roxham ne fait pas exception à cette résurgence de la droite, alors qu’en date du 31 mars — soit une semaine jour pour jour après la signature de l’entente — on compte déjà plus d’une centaine de réfugié-e-s refoulé-e-s, ainsi que 6 morts à la frontière, parmi lesquelles il y avait au moins un enfant¹⁵.


Legault, pourtant, à l’annonce de cette entente, a réitéré plus d’une fois qu’elle symbolisait une « victoire » pour son gouvernement, ajoutant qu’il ne ferait aucun effort supplémentaire pour accueillir une partie des 15 000 demandeurs-euses d’asile que le Canada s’est engagé à recevoir : « Soyons clairs, je pense que le Québec, avec 40 000 irréguliers dans la dernière année, je pense qu’on a fait notre part pour un bout de temps »¹⁶.


Ces tristes nouvelles posent plus d’une question. Mais surtout, qui sommes-nous pour décider du droit de quiconque de jouir d’une vie décente, ou d’aspirer à l’amélioration de ses conditions de vie ? En quoi peut-on policer des terres, ou même prétendre à la possession d’un territoire qui est le fruit d’un vol colonial ? Quelle prétention, que de s’arroger du pouvoir de décider, sur la base d’une loterie arbitraire, qui peut ou ne peut pas s’établir sur des frontières que nous occupons par contingence ?



² Audrey Gagnon et Lindsay Larios, « The Politicization of Immigration and Integration at the Subnational Level: Electoral Campaigns in Ontario and Quebec », Canadian Journal of Political Science, vol. 54, no 3, 2021, p. 696‑716, en ligne, <doi: 10.1017/S0008423921000469>.

³ Catherine Xhardez et Mireille Paquet, «Beyond the Usual Suspects and Towards Politicisation: Immigration in Quebec’s Party Manifestos, 1991-2018 », Journal of international migration and integration, vol. 22, no 2, 2021, p. 673‑690, en ligne, <doi: 10.1007/s12134-020-00764-3>.

Radio-Canada, « La fermeture du chemin Roxham décourage les demandeurs d’asile », ICI Radio-Canada - Nouvelles, section Info, 31 mars 2023.

Catherine Xhardez et Mireille Paquet, «Beyond the Usual Suspects and Towards Politicisation », loc. cit., p. 678.

Les Québécois-e-s sont fréquemment qualifié-es de nation minoritaire par la littérature en science politique. Toutefois, il est à noter que les communautés autochtones ne sont jamais visibilisées au sein de cette représentation du Québec comme d’une nation « minoritaire », ce qui cache une fois de plus la violence systémique perpétrée à l’égard des Premières Nations, étant eux-mêmes minorités au sein d’une province et d’un État tous deux colonisateurs et discriminatoires.

Mireille Paquet, Adèle Garnier et Sule Tomkinson, « La CAQ et l’immigration : “En prendre moins pour en prendre soin ?” », dans Lisa Birch et al. (dir.), Bilan du gouvernement de la CAQ : Entre nationalisme et pandémie, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2022, p. 181‑204; Antoine Bilodeau et al., « Attitudes toward Ethnocultural Diversity in Multilevel Political Communities: Comparing the Effect of National and Subnational Attachments in Canada », Publius: The Journal of Federalism, vol. 51, no 1, 2020, p. 27‑53, en ligne, <doi: 10.1093/publius/pjaa020>.

Samuel Proulx-Chénard, Interculturalisme, 2021, L'Encyclopédie Canadienne.

¹⁰ Jens Hainmueller et Daniel J. Hopkins, « Public Attitudes Toward Immigration», Annual Review of Political Science, vol. 17, no 1, 2014, p. 225‑249, en ligne, <doi: 10.1146/annurev-polisci-102512-194818>; Audrey Gagnon, Catherine Xhardez et Antoine Bilodeau, « Le nouveau nationalisme identitaire de la CAQ », dans Lisa Birch et al. (dir.), Bilan du gouvernement de la CAQ : Entre nationalisme et pandémie, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2022, p. 205‑218.

¹¹ Alexandre Robillard, « Immigration : Legault persiste et signe », Le Devoir, Montréal, 29 septembre 2022, p. A1 et A3.

¹² Marc-André Gagnon, « Legault mélange immigration, extrémisme et violence... puis se rétracte », Journal de Québec, Québec, 8 septembre 2022, p. 2.

¹³ Houda Asal, Jean-Sébastien Imbeault et Karina Montminy, Les actes haineux à caractère xénophobe, notamment islamophobe : Résultats d’une recherche menée à travers le Québec, Étude présentée dans le cadre du Plan d’action gouvernemental 2015-2018. La radicalisation au Québec : agir, prévenir, détecter et vivre ensemble, Montréal, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2019.

¹⁴ Ibid.; Audrey Gagnon et Lindsay Larios, « The Politicization of Immigration and Integration at the Subnational Level », loc. cit.

¹⁶ Nicolas Lachance, « Fermeture du chemin Roxham : Québec ne veut aucun des 15 000 demandeurs d’asile », Le Journal de Québec, section Actualités : Politique, Québec, 28 mars 2023, en ligne.


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