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Les usager-ère-s comme acteur-ice-s de la santé 

Anonyme

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Dans un contexte mondial où la santé publique se transforme pour répondre aux besoins changeants des populations, les usager-ère-s (patient-e-s, familles, associations de défense des droits) occupent une place croissante dans la gouvernance des systèmes de santé.[1] Cette évolution s'inscrit dans un mouvement plus large visant à renforcer la participation des citoyen-ne-s dans les processus décisionnels, particulièrement dans le domaine de la santé. L’empowerment des usagers dans la gestion des soins et des politiques de santé est souvent associée à une notion clé : la démocratie sanitaire. Qu’est-ce-que la démocratie sanitaire ? « La démocratie en santé est une démarche associant l'ensemble des acteurs du système de santé dans l'élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé, dans un esprit de dialogue et de concertation. »[2]


En France et au Québec, cette « démocratie sanitaire » se développe de manière significative, mais avec des spécificités propres. Cet article étudie comment ces deux systèmes intègrent les usagers et usagères dans le secteur de la santé, en analysant leurs cadres juridiques, les structures de participation mises en place, ainsi que les défis et impacts sur la qualité des soins.


L’Institutionnalisation de la participation des usager-ère-s: Convergences et divergences France-Québec


A. En France : Un cadre juridique évolutif et structuré


Depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la France s’est engagée à intégrer les usager-ère-s dans la gouvernance de son système de santé. Cette loi introduit la notion de « démocratie sanitaire » et pose les bases d’une participation institutionnelle des patient-e-s dans les instances de gouvernance.[3] Au fil des réformes, des structures de participation comme les Conférences Régionales de la Santé et de l'Autonomie (CRSA) et les Conseils Territoriaux de Santé (CTS) ont été créées pour permettre aux usager-ère-s de contribuer aux décisions locales de santé, évaluer les pratiques et prioriser les actions.[4] La Conférence Nationale de Santé (CNS) joue également un rôle consultatif auprès du gouvernement, représentant une voix citoyenne sur les grandes orientations nationales.[5]


B. Au Québec : Une tradition ancrée de participation, aujourd'hui en déclin


Le Québec, de son côté, a également mis en place des structures de participation des usager-ère-s depuis les années 1980. Les comités des usager-ère-s, présentes au sein des établissements de santé, permettent aux patient-e-s de faire entendre leur voix et de défendre leurs droits.[6] Ce modèle québécois repose sur une tradition de participation institutionnelle, qui, pendant des décennies, a renforcé les droits des usagers et leur place au sein des conseils d’administration des structures de soins.[7]


Cependant, cette participation est aujourd’hui remise en question avec la centralisation croissante du système de santé, notamment depuis la réforme Barrette de 2015. La disparition des Agences de santé et de services sociaux (ASSS) a conduit à une gouvernance plus centralisée, éloignant les usager-ère-s des décisions locales.[8] La mise en place des Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) marque une évolution dans la gouvernance des systèmes de santé au Québec. En centralisant la gestion de la gouvernance de la santé sous une même entité, le CIUSSS acquiert la direction de la gouvernance régionale en catalysant la prise de décision au sein de cette structure. Cette organisation permet de diriger les structures hospitalières de la région et d'assurer une coordination renforcée des services.[9] Cependant, cette centralisation des pouvoirs peut également entraîner un phénomène de monopolisation des décisions, avec un conseil d'administration unique qui régule l'ensemble des actions, limitant ainsi la diversité des voix et la participation des acteur-ice-s locaux, y compris des usager-ère-s.[10] Bien que le Québec ait un historique de participation, la réforme tend à marginaliser les usager-ère-s dans la gouvernance du système de santé.


Usager-ère-s et gouvernance locale : La dynamique de proximité


A. En France : Un modèle de participation en constante évolution


En France, les structures de démocratie sanitaire comme les CRSA et les CTS ont favorisé une gouvernance de proximité. Ces dispositifs encouragent les usager-ère-s à s’impliquer au niveau local, où ils peuvent exprimer leurs attentes et participer à l’élaboration des politiques de santé régionales. Les CRSA, par exemple, consultent régulièrement les usagers sur leurs besoins en matière de santé publique et de prévention, et les CTS sont appelés à travailler de façon collaborative avec les agences régionales de santé (ARS).[11]


Pourtant, malgré l’intention de décentralisation, le modèle français fait face à différentes problématiques. Les usager-ère-s peinent parfois à exercer une réelle influence, et la complexité bureaucratique peut décourager leur participation. De plus, les structures mises en place pour favoriser leur participation sont parfois instrumentalisées, servant davantage à donner une illusion de consultation et de choix qu’à permettre une véritable prise en compte de leurs avis et besoins.[12] Ces mécanismes participatifs, loin de renforcer la démocratie sanitaire, peuvent ainsi être utilisés pour légitimer des décisions déjà prises ou éviter de répondre aux revendications des usager-ère-s.


B. Au Québec : Un retour vers la centralisation et ses conséquences


Au Québec, la réforme Barrette a non seulement centralisé la prise de décision en matière de santé, mais elle a également affecté la capacité des usager-ère-s à s’engager au niveau local. La réforme a éloigné les usager-ère-s de la gestion des services de santé.[13] Les voix de ces dernier-ère-s , autrefois bien représentées dans les structures hospitalières se retrouvent marginalisées dans les nouvelles structures appelées CIUSSS. Ainsi, bien que le Québec ait une forte tradition de participation des usager-ère-s, la centralisation actuelle tend à limiter cette dynamique, amenant des associations de patient-e-s et certain-e-s expert-e-s à réclamer un retour vers une gouvernance de proximité.



L'Impact des initiatives de participation sur la qualité des soins et la satisfaction des usager-ère-s


A. Le cas français : les bénéfices d’une participation institutionnalisée


En France, les dispositifs institutionnels tels que les CTS ont démontré une influence positive sur la qualité des soins. Par exemple, les usager-ère-s ayant participé aux consultations des CTS se montrent plus satisfaits du système, car ils perçoivent une meilleure prise en compte de leurs besoins. Les CTS ont également contribué à identifier et à remédier aux carences locales en matière de soins, améliorant l’accès aux services de santé.


L’inclusion des usager-ère-s dans les processus décisionnels permet aussi d’ajuster les politiques de prévention aux spécificités des populations locales. Par conséquent, on observe que la satisfaction des usager-ère-s augmente dans les régions où ces instances sont particulièrement actives. Néanmoins, l’impact reste limité par la lenteur des processus bureaucratiques, qui freine parfois la mise en œuvre de ces recommandations sur le terrain.


B. Le cas québécois  un recul de la satisfaction avec la centralisation du système de santé


Au Québec, bien que les comités des usager-ère-s aient contribué à instaurer des pratiques orientées vers l’expérience patient, la centralisation récente a suscité des préoccupations sur la qualité des soins et l’accessibilité des services. La fin des ASSS a éloigné les usager-ère-s des décisions, ce qui, d’après certaines études, a généré une frustration accrue et une perception de déconnexion avec le système de santé.[14] Ce retour vers une gouvernance centralisée réduit la capacité des citoyen-ne-s à influencer les politiques de santé et limite ainsi l’adaptabilité du système aux besoins locaux.




Démocratie sanitaire et culture institutionnelle : Deux modèles, deux réalités


A. Les différences culturelles de participation


En France, la participation des usager-ère-s s’inscrit dans une tradition centralisée où l’État joue un rôle régulateur fort dans les systèmes de santé. Bien que des structures locales aient été créées pour rapprocher les décisions des citoyen-ne-s, le poids de l’administration centrale demeure prédominant.[15] La participation institutionnalisée reste donc souvent encadrée par l’État avec des dispositifs qui peinent parfois à donner aux usager-ère-s une réelle autonomie décisionnelle. [16]


Au Québec, à l’inverse, la culture de la participation est davantage ancrée dans un cadre de partenariat et de participation. Cette notion de participation est même prévue dans les textes de lois. Les comités des usager-ère-s ont été une innovation importante, favorisant une approche collaborative entre les usager-ère-s et les institutions de santé.[17] Cependant, le recentrage des décisions autour du ministère de la Santé a affaibli cette tradition, laissant une part de la gouvernance publique éloignée des citoyens.


B. La portée et les limites d'une participation institutionnalisée


Bien que la France et le Québec aient développé des modèles pour intégrer les usager-ère-s dans la gouvernance de la santé, les résultats divergent en raison des structures institutionnelles et des réformes politiques. En France, l'institutionnalisation de la démocratie sanitaire reste formelle, et les usager-ère-s doivent souvent se battre pour être écouté-e-s au-delà des instances consultatives. Au Québec, malgré des années de participation active, les récents changements de gouvernance représentent une réelle régression pour la voix des usagers qui risque d’être davantage marginalisée dans un système de plus en plus centralisé. [18]



Vers une démocratie sanitaire plus opérationnelle ?


L’analyse comparée de la France et du Québec révèle que malgré des intentions similaires la démocratie sanitaire prend des formes et des trajectoires bien distinctes en fonction des contextes institutionnels et culturels.[19] En France, malgré une structuration établie de la participation des usager-ère-s, le modèle centralisé limite l’autonomie citoyenne dans la gouvernance de la santé. Au Québec, bien qu’une culture de partenariat ait longtemps existé, la centralisation récente pose des problèmes d’application pour la démocratie sanitaire rendant le modèle plus rigide et éloigné des réalités des usager-ère-s. Ces deux expériences mettent en lumière les enjeux d’une démocratie sanitaire : la nécessité de trouver un équilibre entre institutionnalisation et proximité, centralisation et autonomie des usager-ère-s.


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[1] Letourmy, A. (2009). La santé rendue aux usagers ? Santé, Société et Solidarité, 8(2), 5‑9. 

[2] Site de l’Agence Régionale de Santé. Rubrique « Qu’est-ce que la démocratie en santé ? » : https://www.ars.sante.fr/quest-ce-que-la-democratie-en-sante-3

[3] LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. (France)

[4] Biosse-Duplan, A. (2017). Chapitre 4 L’exercice de la représentation et de la participation dans les instances nationales, régionales et territoriales. Démocratie sanitaire : Les usagers dans le système de santé (Vol. 1). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.bioss.2017.01

[5]  CNS. (2022). Fiche de présentation de la CNS.

[6] Site du CIUSSS de l’Estrie—Rubrique Comité des usagers. (s. d.). https://www.santeestrie.qc.ca/ciusss/conseils-comites/comite-des-usagers-et-des-residents-ciusss-de-lestrie-chus

[7] Malone, A., & Malone, A. (2014). Québec : Le rendez-vous manqué de la participation citoyenne. Les Tribunes de la santé, n° HS 3(5), 31. https://doi.org/10.3917/seve.hs03.0031

[8] Turgeon, J., Jacob, R., & Denis, J.-L. (2011). Québec : Cinquante ans d’évolution au prisme des réformes (1961-2010). Les Tribunes de la santé, n°30(1), 57. https://doi.org/10.3917/seve.030.0057

[9] Naisby, J. (2016). Fiche synthèse : Loi sur la réforme du système de santé et la gouvernance. Observatoire des politiques publiques de l’Université de Sherbrooke.

[10] Élodie Camirand, É., & Farman, O. (2015). Adoption du projet de loi n° 10 : Les nouvelles règles d’organisation et de gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux. Norton Rose Fulbright, 1‑4.

[11] Biosse-Duplan, A. (2017). Chapitre 4 L’exercice de la représentation et de la participation dans les instances nationales, régionales et territoriales. Démocratie sanitaire : Les usagers dans le système de santé (Vol. 1). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.bioss.2017.01

[12] Fauquette, A. (NC). « Du consensus au dissensus : Contribution à une analyse sociologique de la démocratie participative dans le champ sanitaire ».

[13] ARS Pays de la Loire. Site ARS Pays de la Loire - Rubrique « Les conseils territoriaux de santé » : https://www.pays-de-la-loire.ars.sante.fr/les-conseils-territoriaux-de-sante-cts-3#:~:text= 

[14]  Turgeon, J., Jacob, R., & Denis, J.-L. (2011). Québec : Cinquante ans d’évolution au prisme des réformes (1961-2010). Les Tribunes de la santé, n°30(1), 57. https://doi.org/10.3917/seve.030.0057

[15] Renaudie, O, 'Le système sanitaire français est-il centralisé ?, ' : Revue générale du droit on line, 2020, numéro 51926 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=51926)

[16] Hudebine, H., Grenier, C., Jourdain, A., & Rihal, H. (s. d.). Évolution des modes de gouvernance des politiques médico-sociales. CNSA.

[17] Comité des usagers du CHUS. (2020). Rapport d’activités du Comité des usagers du CHUS 2020-2021. CIUSSS de l’Estrie.

[18]  Turgeon, J., Jacob, R., & Denis, J.-L. (2011). Québec : Cinquante ans d’évolution au prisme des réformes (1961-2010). Les Tribunes de la santé, n°30(1), 57. https://doi.org/10.3917/seve.030.0057

[19]  Jaluzot, B. (2005). Méthodologie du droit comparé : Bilan et prospective. Revue internationale de droit comparé, 57(1), 29‑48.


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