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Ode à mon lesbianisme

Stéphanie Hébert

Stéphanie Hébert


Réaliser que je suis lesbienne m’a probablement sauvé la vie. Et oui, je suis mélodramatique comme ça moi, que veux-tu ? Mais la vérité, ma vérité, c’est celle-ci. 


La première fois que j’ai réalisé que j’étais attirée par les femmes, je suis toute jeune et je ne me pose pas plus de questions qu’il faut. Ce n’est pas avant que l'adolescence arrive, moment où j‘essaie de me convaincre d’une bisexualité qui n’existe pas chez moi, que ma sexualité devient sujet à questionnement chez moi. Queer, pansexuelle, je m’essaie avec toutes ces autres étiquettes en espérant en trouver une qui parviendra a vraiment à me faire sentir libre, quelque chose qui sera «moi». Aucune chance, j’abandonne et j’essaie de ne plus y penser. J’échoue, évidemment, et je me retrouve dans le néant, dans le questionnement constant. Je sais que je suis attirée par les femmes, je n’en doute jamais, mais c’est toujours mon intérêt pour les hommes qui me pose problème. À l’époque, je peine à comprendre. Suis-je vraiment attirée par les hommes, si les seuls qui m'intéressent sont les vedettes que je vois à la télé, ces hommes inaccessibles et soi-disant parfaits? 


Je suis incapable d’en fréquenter dans ma vie, l’angoisse me prend à l’idée de partager ce que toutes mes copines partagent avec leurs propres copains. Clairement, quelque chose ne va pas chez moi, et je le sais, je le sens dans mes tripes à chaque fois qu’on me crée un avenir fictif avec un copain et des enfants, à chaque fois que quelqu’un me demande c'est quoi mon type de gars et que mon cerveau fait un bruit de static. Je me fais dire à plusieurs reprises que les personnes qui aiment les hommes, elles, ne se posent pas autant de questions comme je le fais. Pendant longtemps, je ressens ce profond malaise et cet inconfort face aux hommes qui ne se justifie pas d’une autre manière  et ce ne sera pas avant l’aube de mes 23 ans que je me l’admets enfin : je suis une lesbienne. 


Mes questionnements et mes doutes, mes craintes, rien n’était plus fort que ce sentiment de vérité qui planait au-dessus de moi : je n’ai jamais été attirée par les hommes, je ne suis pas attirée par les hommes et, comme vous pouvez le deviner, je ne serais jamais attirée par les hommes. La réalité, ma réalité, est la suivante : je suis une femme lesbienne. 


La vérité, c’est que l’identité lesbienne est une identité isolante, et ça fait peur. Je le savais avant même d’être capable de dire les mots face à moi-même dans le miroir, et je le sais encore aujourd’hui, presque deux ans plus tard. Toutes mes amies ont des copains, on eu des copains ou vont un jour avoir des copains. Ensemble, indépendamment de si ces personnes se connaissent ou non, elles partagent toutes cet intérêt et ce désir de plaire aux hommes. Chose que je ne pourrais jamais vraiment comprendre. J’ai essayé - et réussi à un certain niveau - de m’adapter du mieux que je pouvais pour comprendre un tant soit peu ce que ça voulait dire, « aimer » les hommes. Que ce soit par ma phase boy bands ou par le nombre de livres de romances que j’ai dévoré les uns après les autres, je me suis accrochée à ces hommes fictifs ou inaccessibles du mieux que je pouvais. C’était l’alternative facile, que ce soit devant des millions de fans sur une scène ou dans le confort de pages de bouquins, plus un homme était loin de moi, plus il était imaginaire, plus facile il était à aimer. Cet intérêt commun m’a permis à l’adolescence de me sentir moins à l’écart, de partager un point commun avec mes amies et de me sentir, d’une certaine manière, en mesure d’avoir un sentiment « normal » par rapport aux hommes. 


Ma sexualité exclut les hommes. Toutefois, la société dans laquelle je suis, elle, ne l’est pas. En tant que femme lesbienne, je ne rêve pas de plaire aux hommes. Je ne souhaite pas attirer leur attention ni recevoir cette dernière. Ma vie, mon existence, n’est pas centrée sur les hommes. Tout ce que nous consommons est fait en fonction du male gaze. Les médias qu’on consomme, la musique, la mode, notre conception de l’amour. Partout où je regarde, partout où je vais, peu importe ce que j’écoute, l’homme s’y incruste. Le peu de représentativité de personnes lesbiennes qui ont la chance d’apparaître sur mon écran le font majoritairement en tant que personnages secondaires, me laissant insatisfaite, un désir pour plus qui n’est jamais vraiment assouvie. Les lesbiennes vont mourir devant mon écran, elles se font violenter devant mon écran ou transformer, d’une manière ou d’une autre, en objet sexuel qui vient interpeller le désir masculin. Au final, les lesbiennes ne se font rarement aimées et par association, c’est un peu comme si moi non plus. 


Tout ce que l’on consomme est créé pour le male gaze. Les livres qu'on lit, la musique qu’on écoute, la culture patriarcale dans laquelle on évolue, tout, d’une manière ou d’une autre, se concentre ou centralise les hommes et leurs désirs de l’avant. C'est ça, le patriarcat, et idéalement mon rôle à moi, ce serait de m’y conformer. Comment faire, toutefois, quand mon identité même consiste à la décentralisation des hommes, à un manque total, une absence complète, de l’attirance envers ceux-ci? C’est la question que je me pose constamment. 


Être une lesbienne est épuisant. C’est de devoir  défendre mon identité, justifier mon amour et mon attirance envers les femmes tout en rassurant les gens que je ne suis pas l’une de ces lesbiennes qui détestent les hommes. Je ne suis pas une vilaine méchante, j’ai des amis hommes, j’aime les copains de mes amies, j’aime mon père, mon frère et les autres hommes de ma vie.  Alors que ma sexualité est exclue aux hommes, il faut toutefois rassurer les gens que même si je ne suis pas attirée par les hommes, je les « aimes » quand même. 


Je suis une lesbienne. Mon identité existe, peu importe de mes expériences ou du chemin qui m'a mené ici. Je ne suis pas attirée par les hommes, je n’ai jamais été attirée par les hommes, et la route que j’ai dû prendre pour comprendre et accepter cette réalité à propos de moi-même m’appartient. Certaines personnes le savent depuis toujours, certaines vont jusqu’à se fonder une vie entière avant de finalement découvrir ou accepter cet aspect d'elles-mêmes. Pour certain.e.s, c’est une étape douloureuse tandis que pour d’autres, c’est aussi facile que n’importe quoi d’autre. Finalement, il n’existe vraiment pas de « bonne » façon de se rendre à cette étape d'acceptation. Dans mon cas, bien que je reconnaisse qu’il existe un aspect particulièrement isolateur à cette identité, m’accepter en tant que lesbienne m’auras libérée d’un poids, délaisser de certaines attentes sociétales que je m’étais imposées à moi-même et qui m’avait été inculqué dès mon enfance. 


Ça m’aura permis de décentraliser ma vie des hommes et de leurs attentes, de considérer mon corps d’une manière bien plus libératrice, non comme un objet de servitude au plaisir masculin. Mon lesbianisme, c’est ma liberté, c’est mon indépendance, c’est ma volonté de vivre une vie qui m’appartient, une existence qui m’est propre. 


Je fais donc ici ode à mon lesbianisme, ode aux lesbiennes qui sont venu.e.s avant moi et ode aux lesbiennes qui prendront ma place quand je ne serai plus. Les batailles qui ont été menées me permettent d’exister aujourd’hui, et idéalement, les batailles et la vie que je mène entant que lesbienne aujourd’hui permettront à d’autres de suivre.


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