Derrière le masque de l’extrême droite européenne : 5 clés pour comprendre
- Célia-Faye Thibeault
- 19 sept.
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Célia-Faye Thibeault

Avec le réchauffement climatique, les prochaines décennies seront marquées par des crises économiques, des vagues de réfugiés climatiques, des catastrophes naturelles et des tensions internationales croissantes. Dans ce contexte, des idéologies comme l’individualisme, la xénophobie et le climatoscepticisme, portées par plusieurs partis d’extrême droite, ne permettront pas de répondre aux enjeux du futur et actuels.
En France, en Allemagne et en Italie, trois acteurs majeurs de l’Union européenne, ces forces politiques progressent depuis les années 2000, portées par des discours populistes de droites, identitaires et eurosceptiques.
Puisque l’Europe occidentale est aujourd’hui l’allié le plus sûr du Canada, comprendre pourquoi une part croissante de la population choisit de voter pour l’extrême droite est devenu un enjeu essentiel. Ce choix s’explique par un ensemble complexe de facteurs qui, combinés, créent un terrain propice à leur essor.
1. Une défiance profonde envers les institutions établies
Au cœur du vote pour l’extrême droite se trouve une défiance marquée envers les institutions politiques, judiciaires et médiatiques. Ces structures sont perçues comme déconnectées des préoccupations réelles des citoyen-ne-s. Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN) en France, remet fréquemment en doute l’intégrité du système judiciaire en contestant l’impartialité des magistrats français alors qu’elle est elle-même visée par des procédures judiciaires. En Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD) et, en Italie, la Lega, (deux partis d’extrême droite) dénoncent une couverture médiatique biaisée qui marginalise leur parole.
Cette défiance envers les institutions s’inscrit dans un discours populiste où l’on oppose les « élites » au « peuple ». Ce rejet des élites et institutions politiques, juridiques, intellectuelles, scientifiques et autres nourrit un sentiment d’exclusion politique et alimente la colère qui pousse certains électeurs et électrices à voir l’extrême droite comme leur seule issue face à un système qui ne représenterait plus les intérêts des citoyens ordinaires. [1] Les partis d’extrême droite se présentent alors comme la voix du « peuple » face à un « système » jugé défaillant. L’AfD en a même fait son identité : son nom signifie littéralement « Alternative pour l’Allemagne ».
2. Une crise économique et sociale amplifiée par la période post-2008
La crise financière de 2008, suivie d’une longue période d’austérité, a profondément fragilisé de nombreuses couches sociales dans plusieurs pays européens. Classes populaires et moyennes ont vu leur situation se détériorer, renforçant un sentiment de déclassement et d’exclusion politique.
Cependant, cette adhésion ne se limite pas aux couches sociales les plus fragilisées. Elle concerne également certains segments plus aisés. Face aux délocalisations, à la concurrence mondiale et à ce qu’ils perçoivent comme une perte de souveraineté économique ou culturelle, plusieurs individus plus aisés adhèrent aux promesses de patriotisme économique et de mesures protectionnistes proposées par ces partis. [2]
3. L’exploitation de la mémoire historique et de l’identité nationale
Les partis d’extrême droite mobilisent souvent la mémoire historique pour consolider leur discours identitaire. En France, le RN tend à minimiser la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des Juifs, préférant dissocier la « vraie France » de ce passé douloureux. Cette réinterprétation vise à construire une histoire patriotique qui valorise une identité nationale forte et unie. Cette instrumentalisation de la mémoire collective sert à mobiliser un électorat qui se sent menacé dans son identité culturelle et nationale face aux changements perçus comme déstabilisants, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance à un groupe protégé. Dans cette logique de déculpabilisation, l’Afd insiste sur le fait que l’Allemagne à déjà suffisamment payé pour les crimes du nazisme et qu’elle ne devrait plus être tenue responsable des crimes commis par les générations précédentes. À titre symbolique, certains membres du parti entretiennent eux-mêmes des liens familiaux avec ce passé, comme Alice Weidel, cheffe du parti, dont le grand-père paternel fut un membre volontaire de l’organisation paramilitaire nazie des SS (Schutzstaffel) et nommé juge directement par Hitler.
4. Une vision politique souverainiste et isolationniste
À l’échelle internationale, on observe également une logique de pensée très refermée : l’État met ses intérêts de l’avant, quitte à abîmer des alliances. La fin d’accords de libre-échange et le soutien aux actions qui protègent le droit de riposte face à une attaque sont mis de l’avant. Ces partis adoptent une vision isolationniste, plutôt qu’interventionniste, et s’écartent du multilatéralisme pour privilégier une vision unilatéraliste, où les alliés ne sont pas pris en compte dans la prise de décision. Cela explique l’envie constante de sortir ou de modifier l’Union européenne, jugée comme nuisant aux priorités nationales.
5. Le rejet de l’immigration ou d’une religion ?
Le rejet de l’immigration est central et sans cesse lié à la lutte contre le fondamentalisme islamiste. Ces partis estiment que la récupération de leurs frontières nationales, suite à la modification ou à la sortie de l’Union européenne, leur permettrait de combattre le terrorisme et le radicalisme islamistes qui, selon eux, infecteraient leurs sociétés. Parmi les mesures radicales régulièrement avancées, l’interdiction du port du voile dans l’espace public figure parmi les plus constantes. Le RN défend également la « priorité nationale », qui accorderait un avantage en matière de logement et d’emploi aux personnes ayant hérité de la nationalité française par leurs parents, au détriment des personnes immigrantes. En Allemagne, la présidente de l’AfD, Frauke Petry, déclarait en 2016 vouloir préserver l’identité allemande ; une promesse qui demeure centrale dans leur orientation politique à ce jour. Plus récemment, la section locale de l’Afd à Karlsruhe a distribué plus de 30 000 tracts imitant de faux billets d’avion. La fausse carte d’embarquement proposait un aller simple pour un « migrant illégal » vers un « pays d’origine sûr ». Le départ était fixé le 23 février, date des élections législatives et le billet était accompagné de slogan haineux tel que « Seule la remigration peut encore sauver l’Allemagne » ou encore « Être à la maison, c’est bien aussi ». [3] Cette opération, largement critiquée (à juste titre), fait également l’objet d’une enquête pour incitation à la haine, mais illustre parfaitement comment l’AfD transpose son discours anti-immigration en actions ciblées et xénophobes, rappelant l’héritage fasciste de cette formation politique. Ce parti a aussi bénéficié du soutien indirect de PEGIDA, un mouvement anti-immigration apparu en 2014, qui propageait des idées xénophobes et soutenait activement l’AfD à l’époque. [4] En Italie, Matteo Salvini, leader de la Lega, proposait en 2018 d’investir directement en Afrique pour aider les populations dans leur pays d’origine et limiter ainsi les migrations vers l’Europe. Il critiquait violemment les ONG, insinuant qu’elles étaient complices des traversées en Méditerranée, qu’il qualifiait de « bateaux chargés d’esclaves ».
Un électorat diversifié, mais mobilisé par des thèmes communs
Ainsi, si les partisan-e-s de l’extrême droite ne forment pas un bloc homogène, on y retrouve des caractéristiques communes utilisées comme leviers de mobilisation : la peur du changement, le rejet des élites politiques, l’importance de l’identité nationale et la question migratoire. Les récentes crises migratoires et économiques ont renforcé leur influence, en alimentant la frustration et la déception à l’égard des élites.
On peut néanmoins distinguer deux types d’électeurs et électrices : ceux issus des classes privilégiées, qui comprennent les programmes et y trouvent un moyen de protéger leur capital, et ceux issus des classes populaires et moyennes, séduits par un discours populiste de proximité et des promesses souvent irréalistes.
Comprendre la logique de ces partis est indispensable, non seulement pour défendre les valeurs démocratiques, mais aussi pour élaborer des réponses politiques capables de rivaliser avec la force de leur discours. Sans alternatives crédibles et mobilisatrices, le terrain restera favorable à leur essor, laissant planer le risque d’une normalisation progressive de leurs idées au sein de la société.
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[1] Jens Rydgren, The Oxford Handbook of the Radical Right, (Oxford University Press, 2018), 2 https://books.google.ca/books?hl=fr&lr=&id=0O5IDwAAQBAJ&oi=fnd&pg=PP1&dq=radical+right+europe+sociologie&ots=V5xxXu00zT&sig=5RINYlrECb-FbFv7ZU-4MsLX3Jk#v=onepage&q=radical%20right%20europe%20sociologie&f=false
[2] Alexis Coskun, « L’Europe face au défi de l’extrême droite », Recherches internationales, no 128 (1), (2024) :105, https://cairn-stjean.proxy.collecto.ca/revue-recherches-internationales-2024-1-page-93?lang=fr
[3] « En Allemagne, l’extrême droite allemande distribue des tracts anti-migrants sous forme de billets d’avion », Franceinfos, 16 janvier 2025, https://www.franceinfo.fr/monde/europe/allemagne/en-allemagne-l-extreme-droite-allemande-distribue-des-tracts-anti-migrants-sous-forme-de-billets-d-avion_7016582.html?utm_source=chatgpt.com.
[4] Coskun, « L’Europe face au défi de l’extrême droite », 112.






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