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Le refus de syndicaliser les stagiaires

  • Rémi Grenier
  • il y a 5 heures
  • 4 min de lecture
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Rémi Grenier


Le 3 octobre 2025, le Tribunal administratif du travail (TAT) a rendu une décision très attendue concernant la syndicalisation des stagiaires en enseignement.[1] En effet, le Tribunal a rejeté six requêtes en accréditation visant à faire reconnaître les stagiaires comme des salarié·e·s au sens du Code du travail. Ce jugement constitue un tournant majeur dans les luttes étudiantes et féministes pour la reconnaissance du travail en stage.


Contexte du jugement

Depuis plusieurs années, les associations étudiantes québécoises revendiquent la rémunération, la salarisation et la syndicalisation des stages obligatoires, particulièrement dans les secteurs traditionnellement occupés par des femmes tels que l’enseignement, le travail social et les soins infirmiers. Ces mobilisations, marquées par des grèves de stages et des cours, dénoncent le paradoxe entre l’importance des tâches assumées par les stagiaires et l’absence de reconnaissance économique et institutionnelle de leur contribution.

En 2023, le Syndicat des Stagiaires Salariés du Québec (SSSQ) a entrepris une nouvelle démarche en réclamant la syndicalisation formelle des stagiaires en enseignement, afin de leur permettre de négocier collectivement leurs conditions de stage et de faire reconnaître leurs droits au même titre que les autres travailleuses et travailleurs du secteur public. Les requêtes déposées visaient six centres de services scolaires (CSS) de la région de Montréal et des environs.


Cependant, les CSS, appuyés par le Procureur général du Québec, ont contesté la démarche en soutenant que les stagiaires ne sont pas des employé·e·s, puisqu’iels ne sont ni rémunéré·e·s ni embauché·e·s par les CSS. 


Les motifs du refus

Le Tribunal administratif du travail reconnaît l’importance sociale et éducative du rôle des stagiaires, mais conclut qu’elles ne remplissent pas les conditions légales pour être reconnues comme salariées.

En effet, les stages effectués dans les CSS sont considérés par le Tribunal avant tout comme des activités de formation universitaire, et non comme une prestation de travail réalisée pour un employeur. 

L’absence de rémunération exclut également toute reconnaissance du statut de salarié, le Code du travail exigeant qu’un salarié travaille pour un employeur moyennant rémunération.[2] Ainsi, même si les stagiaires accomplissent des tâches similaires à celles des enseignants et participent activement à la vie scolaire, leur contribution demeure formatrice plutôt que professionnelle au yeux du Code du travail.

En conséquence, le Tribunal conclut qu’iels ne travaillent pas pour et sous la direction des CSS, condition essentielle à la reconnaissance du statut de salarié·e, et rejette donc les requêtes du SSSQ sans examiner les arguments fondés sur la discrimination ou la liberté d’association.


Les conséquences sociales du refus

Au-delà de son fondement juridique, cette décision soulève d’importants enjeux sociaux. Elle consacre une frontière rigide entre formation et travail, contribuant à maintenir la précarité des stagiaires et à reproduire des inégalités structurelles persistantes.


Une précarité institutionnalisée

Le jugement confirme que les stagiaires demeurent exclues du droit du travail, bien qu’elles participent activement au fonctionnement des institutions publiques. En refusant leur syndicalisation, l'État condamne ces travailleur·euse·s à continuer de fournir leur force de travail sans salaire, ni véritable protection, ni voix collective. Ce vide juridique institutionnalise une forme d’exploitation du travail étudiant, dissimulée derrière la notion d’apprentissage.


Une inégalité genrée persistante

Les programmes généralement touchés par la non-salarisation des stages (enseignement, travail social, soins infirmiers) relèvent de domaines historiquement féminisés, tandis que ceux des domaines traditionnellement masculins, comme l’ingénierie et l’informatique sont rémunérés. En refusant d’ouvrir la voie à la syndicalisation, le Tribunal contribue à maintenir une division sexuée du travail, où les métiers du « care » continuent d’être perçus comme des vocations plutôt que comme des professions. Même sans se prononcer sur la discrimination, cette décision renforce la naturalisation de la gratuité du travail féminin dans certains secteurs.


Un recul du droit d’association

Le Tribunal renvoie les stagiaires à leurs associations étudiantes, reconnues par la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants.[3] Or, ces associations ne disposent pas des pouvoirs des syndicats. Par exemple, elles ne peuvent négocier de conventions collectives ni exercer le droit de grève concrètement dans les milieux de stage. Le refus du TAT prive ainsi les stagiaires d’un véritable pouvoir de négociation collective, limitant leur influence à la mobilisation politique et médiatique.


Un signal politique inquiétant

Cette décision illustre un refus plus large de reconnaître le travail étudiant comme un travail socialement utile. Elle s’inscrit dans la continuité des politiques publiques qui valorisent la formation tout en ignorant les conditions matérielles de celles et ceux qui la rendent possible. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, cette dépendance au travail gratuit des stagiaires devient un palliatif institutionnel au sous-financement chronique du secteur public.


Un statu quo intenable

En refusant la reconnaissance syndicale des stagiaires, l’État québécois maintient une zone grise où des milliers d’étudiant·e·s continuent de travailler sans droits, sans salaire et sans représentation.


Si, sur le plan juridique, les stagiaires ne travaillent pas pour un employeur, la réalité quotidienne des écoles et des hôpitaux démontre qu’elles travaillent bel et bien, mais gratuitement.


À défaut d’une réforme législative, cette décision ferme pour l’instant la voie judiciaire à la reconnaissance du travail des stagiaires. La lutte devra désormais se poursuivre sur le terrain politique et social pour arriver à la syndicalisation et la salarisation des stages. 


____

[1] Syndicat des stagiaires salariés du Québec (SSSQ) – Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) – FTQ c. Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île et al., 2025 QCTAT, juge administrative Maude Pepin Hallé (Montréal, 3 octobre 2025).

[2] Code du travail, RLRQ c C-27 à l’art 1 1).

[3] Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants, RLRQ c A-3.01.






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