L'indépendance du Québec et la santé dans tout ça ?
- Rémi Grenier
- 19 sept.
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Rémi Grenier

Un récent sondage montre que 56% des jeunes Québécois·es sont favorables à l’indépendance.[1] Pour beaucoup, il s’agit de la solution afin de reprendre le contrôle sur des enjeux tels que l’économie, l’environnement, la culture et bien d'autres. Mais alors que le réseau de la santé traverse l’une des pires crises de son histoire, la question se pose : que deviendrait-il dans un Québec indépendant? Pour y répondre, il faut examiner à la fois l’héritage du Parti Québécois (PQ) et les rapports complexes entre le gouvernement fédéral et le nationalisme québécois.
Un départ tardif dans la construction du réseau
Tout d’abord, il est important de rappeler que le Québec n’a pas été un précurseur en matière de santé publique universelle. Dès les années 1950, des provinces comme la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie-Britannique avaient instauré un régime public d’assurance-hospitalisation [2]. Malgré l’appui massif de la population (70 % des Québécois·es en 1968 étaient favorables à une couverture publique) [3], des pressions syndicales et du Fédéral, le Québec a tardé à emboîter le pas. Cette réticence s’explique en partie par un nationalisme de protection des compétences provinciales. En effet, adopter rapidement un programme soutenu par Ottawa risquait de donner une image de dépendance. Résultat : l’assurance-hospitalisation n’est implantée qu’en 1961 et l’assurance-maladie en 1970 alors que la Saskatchewan avait instaurée, cette dernière, presque 10 ans plus tôt en 1962. [4] Ce retard a repoussé l’accès aux soins pour plusieurs Québécois·es. Cet épisode invite à réfléchir : comment concilier la défense de l’autonomie politique avec l’urgence de répondre aux besoins concrets de la population ?
Entre ambitions sociales et virage néolibéral
Le réseau public de santé occupe une place centrale dans l’imaginaire national en incarnant la capacité du Québec à bâtir un modèle social distinct. Pourtant, le PQ, parti qui se présente comme porteur du projet souverainiste, a souvent oscillé entre promesses progressistes et concessions aux logiques de marché néolibéral.
Dans les années 1970, le PQ hérite de la gestion des CLSC, conçue pour rapprocher les soins des communautés, renforcer la prévention et impliquer la population dans la gouvernance du réseau de santé et des services sociaux. Ce projet, salué comme novateur, aurait pu transformer durablement la santé publique québécoise. Mais sous la pression des médecins et du secteur privé, le PQ cède en modifiant leurs mandats [5]. Peu à peu, les cliniques médicales privées prennent le dessus, limitant la portée des CLSC et affaiblissant leur mission de santé communautaire.
De plus, en 1997, Pauline Marois, alors ministre de la Santé et des Services sociaux sous le PQ, met en place des retraites anticipées touchant 4 000 infirmières et plus largement 18 884 employé·es en santé [6]. Cette décision a contribué à la pénurie de personnel dont les effets se font encore sentir aujourd’hui et explique une grande partie de la crise actuelle du système de santé.
En somme, cette série de décisions ne remet pas en cause le projet d’indépendance ni les réalisations positives du PQ en santé. Cela rappelle toutefois qu’un Québec souverain sous le PQ ou tout autre gouvernement ne serait pas automatiquement exempté des différentes pressions exercées par les classes dominantes. Les choix politiques restent soumis à des pressions économiques, à des intérêts corporatifs et à des logiques de gestion qui peuvent aller à l’encontre des besoins de la population. Il ne suffit pas d’affirmer l’indépendance ou de revendiquer une identité nationale : la protection et le renforcement d’un système de santé universel et accessible exigent un engagement constant, des mécanismes de contrôle citoyen et des politiques qui mettent réellement la justice sociale au centre des décisions.
Immigration et des transferts fédéraux
En 2023, 15 % des personnes immigrantes permanentes, 8 % des personnes immigrantes temporaires et 13 % des personnes nées au Canada occupaient un emploi dans le secteur de la santé au Québec [7]. Pourtant, Paul St-Pierre Plamondon, chef actuel du PQ, adopte un discours anti-immigration, une position paradoxale considérant que le recrutement international est devenu essentiel au fonctionnement des hôpitaux, CHSLD et cliniques.[8] Ce virage du PQ (qui n’est pas récent), d’un nationalisme de gauche vers un nationalisme identitaire orienter par la percée des idéologies de droite et d’extrême droite n’est pas anodin et reste inquiétant et ce, que le Québec devienne indépendant ou non.
Le tout s'ajoute à la question des transferts fédéraux. En effet, le Fédéral s'est engagé à verser environ 11,5 milliards de dollars pour la santé au Québec pour les années 2024 et 2025,[9] soit 18,12 % des dépenses total du ministère de la Santé et des Services sociaux.[10] Il faut aussi rappeler qu’à la suite d’une diminution de 8,3 milliards de dollars des transferts fédéraux dans les années 90,[11] le PQ a entrepris le virage ambulatoire qui avait pour objectif réel (dans un contexte de dépendance de ces transferts) « de réduire les coûts, [en santé] quelles qu’en soient les conséquences pour les services à la population ».[12] Toutefois, même si ces transfert sont jugés insuffisants, leur disparition dans un scénario d’indépendance créerait un trou budgétaire majeur qu’il faut prendre en compte.
Ainsi, pour qu’un projet indépendantiste échappe au nationalisme identitaire et s’inscrive dans une logique de justice sociale, il doit reconnaître pleinement la contribution des personnes immigrantes et proposer un modèle de financement viable, rompant avec les rapports de dépendance qui fragilisent déjà le système actuel.
Au-delà de la question nationale
Qu’on soit pour, contre ou indifférent à l’indépendance, l’avenir du système de santé québécois ne peut pas se réduire à un débat constitutionnel. L’histoire montre que le cadre institutionnel ne garantit pas à lui seul des politiques progressistes.
Cela dit, il serait injuste de ne pas mentionner que le PQ a également participé à certaines réalisations positives en matière de santé, mais il n’en demeure pas moins que la véritable question est ailleurs : quelle vision collective de la santé voulons-nous ? Comment financer un réseau public universel et accessible, peu importe le parti au pouvoir ou le statut politique du Québec ? Est-ce qu’un référendum est la seule voie pour atteindre une indépendance conjuguée à un système de santé sain ?
Tant que ces réponses ne seront pas claires, le risque sera de reproduire les erreurs du passé mais aussi, de ne pas bâtir sur les réussites qui pourraient inspirer l’avenir, indépendant ou non.
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[1] Thériault, William, «" Montée spectaculaire " du souverainisme chez les jeunes », La Presse, 2025. https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-08-08/favorables-a-56/montee-spectaculaire-du-souverainisme-chez-les-jeunes.php
[2] [4] Gouvernement du Canada, « Le système des soins de santé du Canada », Gouvernement du Canada, 2018.
[3] Anne Plourde, « Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé », Écosociété, 2021, p.109
[5] Ibid., p. 117 et 141.
[6] Lessard, Denis, « Mises à la retraite massives: l'objectif de l'État a-t-il été atteint? », La Press, 2010. https://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/la-presse-est-a-vous/201010/23/01-4335428-mises-a-la-retraite-massives-lobjectif-de-letat-a-t-il-ete-atteint.php
[7] DQ, « Comprendre l’impact des immigrants temporaires sur le marché de l’emploi au Québec: Mieux comprendre pour mieux agir », 2024, p. 22. https://institutduquebec.ca/content/publications/limpact-des-immigrants-temporaires-sur-le-marche-de-lemploi-au-quebec/idq-202402-travailleursetrangers.pdf?utm
[8] Statistique Canada, « Profil d’intérêt spécial, Recensement de la population de 2021 : Profil d’intérêt Immigration », Gouvernement du Canada, 2021. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/dp-pd/sip/details/page.cfm?Lang=F&PoiId=4&TId=0&FocusId=1&AdmissionId=1&AgeId=1&Dguid=2021A000224#sipTable
[9] Freeland, Chrystia, « Letters to Provinces and Territories: Quebec 2023 », Gouvernement du Canada, 2023. https://www.canada.ca/en/department-finance/programs/federal-transfers/letters-provinces-territories/2023/quebec.html?utm
[10] Ministère de la santé et des services sociaux, « Compte de la santé et des services sociaux 2022-2023, 2023-2024, 2024-2025 », Gouvernement du Québec, 2025. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/rapport/RA_24-614-01W_MSSS.pdf?utm p.3
[11] Anne Plourde, « Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé », Écosociété, 2021, p.195.
[12] Ibid., p. 196.






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