J’ai participé dernièrement aux deux assemblées qu’organisait ÉcoloGGI¹ pour trouver des revendications environnementales aux mouvements étudiants. Au cours de nombreuses discussions et débats sur des mesures plutôt réformistes, d’autres plus révolutionnaires ainsi que leur potentiel de mobilisation respectif, l’argument de la récupération politique revenait régulièrement.
On y soulevait que le gouvernement aurait une plus ou moins grande facilité à transformer, récupérer ou vider telle ou telle revendication. Or, pouvons-nous réellement faire confiance aux gouvernements pour nous sortir de cette crise environnementale ?
Poulantzas l’avait noté, dans une société capitaliste, l’État est forcément un État capitaliste. Nos gouvernements ont toujours défendu l’hégémonie capitaliste et une grande partie des député-e-s qui nous représentent se sont enrichis dans ce modèle avant d’en devenir les fervents défenseurs-euses. Chez nos gouvernants, il n’y a aucun autre monde imaginable ; le mot « décroissance » les effraie et l’autogestion leur donne des cauchemars. La seule avenue qu’ils arrivent à concevoir est le développement durable. Même les partis de gauche comme Québec Solidaire ne remettent pas en question le système capitaliste. Depuis plus de 30 ans, les gouvernements nous font des promesses, signent des accords et participent à des conventions, mais aucune mesure à la hauteur de la crise que nous vivons n’a encore été prise. Je pense que nous devons maintenant être pragmatiques et arrêter de croire que c’est à l’État qu’il faut s’adresser pour changer notre monde.
La grève générale illimitée ou GGI, dans sa fonction non révolutionnaire, cherche à faire pression sur les patrons ou les gouvernants en utilisant l’arrêt de la production prolongé et le dérangement produit par les grévistes pour obtenir des réponses à certaines revendications. Cette tactique a eu beaucoup de succès dans des contextes réformistes, mais dans un contexte de crise environnementale, est-ce vraiment à l’État qu’il faut s’adresser ? Peut-on vraiment croire que l’État apportera un gain considérable vers la fin du système qu’il représente ? Ces réflexions m’ont amené à penser que le syndicalisme militant n’est peut-être pas la solution pour faire face à l’écocide². Néanmoins, la GGI a d’autres qualités et elles méritent que l’on s’y attarde. Je me suis donc amusé à imaginer quatre voies que pourrait emprunter le mouvement étudiant pour faire face à la crise climatique.
La grève générale illimitée désillusionnée comme moteur de mobilisation
La GGI est une tactique qui, une fois mise en place, permet de libérer énormément de temps aux grévistes pour militer et réfléchir. La résistance peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois, durant lesquels les grévistes sont initiés au militantisme, à l’action directe, font des groupes de discussion, de l’art engagé, rédigent des textes, de la poésie, créent des contacts, tissent un réseau, s’élaborent un récit, une solidarité et une culture commune. L’opposition entre l’État et les étudiants ainsi que l’éducation populaire inhérente aux GGI permettent de mobiliser massivement le milieu gréviste, mais aussi de le radicaliser.
Selon moi, ces atouts majeurs qu’apporte la grève générale illimitée peuvent potentiellement suffirent à eux seuls et l’on pourrait faire une GGI en étant totalement conscient de l’échec de nos revendications.
La GGI peut se valoir seulement pour créer, former et radicaliser notre génération de militants face à la crise environnementale qui iront renforcer les luttes futures, mais surtout les luttes présentes.
L’enjeu des revendications dans ce type de GGI est très intéressant, car elles sont intrinsèquement liées au succès et à la qualité de la mobilisation. Des revendications réformistes touchant directement la vie des étudiants comme la gratuité scolaire et l’amélioration des transports en commun facilitent la mobilisation, mais elles l’orientent vers une vision réformiste de la société. Mobiliser autour de ce genre de mesures ne nous permet d’aborder l’extractivisme, l’écocide, le colonialisme, la logique du capital et de la croissance que dans un second temps. Avec ce type de revendications, nous risquerions de continuer à nourrir le débat sociétal actuel qui évite totalement le cœur du problème.
D’autre part, des revendications plus révolutionnaires comme la sortie des énergies fossiles ou une charte pour la justice environnementale permettraient d’aborder la racine du problème beaucoup plus tôt lors du processus de mobilisation. Malheureusement, elles ont tendance à repousser une partie des étudiants non sensibilisés à la radicalité du constat établi. Dans cette perspective, un ensemble de demandes composé de revendications de ces deux familles peut peut-être constituer la solution.
Le principal risque de cette stratégie pour le mouvement étudiant est que la tactique de la GGI peut entraîner une période de démobilisation plus ou moins longue. La grève générale illimitée demande énormément d’énergie aux militant-e-s et elle a tendance à les épuiser.
Pour que la GGI désillusionnée pour la mobilisation fonctionne, il faudrait que nous arrivions à surpasser cette faille et faire une GGI qui porte directement les militant-e-s vers des luttes ultérieures plus larges et radicales. Ce n’est pas une mince affaire et pour y parvenir, il importe que nous étudiions les grèves générales illimitées passées et les éléments qui ont créé leur période de creux subséquente.
La grève générale illimitée réformiste
On peut encore adopter une posture réformiste face aux changements climatiques et se dire que même de petits gains obtenus de nos gouvernements sont des pas dans la bonne direction. Une GGI est un mode d’action qui accompagne très bien cette posture.
Toutefois, il me semble que faire une grève générale illimitée réformiste soit l’avenue la moins souhaitable que puisse prendre le mouvement étudiant.
Si, en 2023, dans les milieux militants universitaires, nous en sommes encore à militer pour des solutions réformistes à la crise environnementale, si nous continuons de militer continuellement dans le système en adressant nos demandes aux gouvernants en espérant qu’ils y accèdent sans défendre leurs propres intérêts, si nous persévérons à croire en la démocratie représentative alors qu’année après année les gouvernements amplifient la destruction de notre planète, si nous continuons à croire aux miracles du développement durable, au développement des transports en commun, des voitures électriques et d’isolations plus performantes comme solutions au problème, si nous n’arrivons pas à adresser la racine du problème ; le système d’exploitation capitaliste, le plus tôt possible dans notre milieu étudiant qui est un des plus outillés pour la comprendre, alors je pense que notre lutte sera stérile et le futur bien sombre.
La grève générale illimitée comme un appel au peuple québécois
Dans ce contexte d’anthropocène, la principale faiblesse de la grève générale illimitée est son destinataire : l’État. Elle est sa faiblesse, car elle expose la nôtre ; nous nous reposons encore sur l’État pour changer notre société.
Or, l’État capitaliste ne sera pas le moteur du changement qu’il nous faut. En quittant l’assemblée d’ÉcoloGGI, je me suis demandé ; une GGI pourrait-elle avoir un autre destinataire que l’État ? Pourrions-nous, faute de pouvoir adresser nos revendications à l’État, les adresser à la société civile ? Pourrions-nous demander au peuple québécois de s’organiser en assemblées populaires ? Aux quartiers et villes de reprendre du pouvoir ? Pourrions-nous faire une grève générale illimitée pour demander aux Québécois de nous aider à trouver des solutions ensemble, car nos gouvernements ne le veulent pas ? Est-ce rêver de penser que nous aurions des réponses à ce genre de revendication ?
S’adresser aux citoyens renforcerait le mouvement et ferait grandir la solidarité à notre lutte. Nous pourrions en appeler à créer des assemblées citoyennes pour commencer à imaginer et construire les sociétés qui remplaceront la nôtre. Cette avenue mérite d’être investiguée et réfléchie en profondeur, elle pourrait avoir du potentiel.
Militer autrement
Les carrés rouges de 2012 ont marqué notre génération, cette grève générale illimitée est un modèle pour de nombreux militants qui, comme moi, étaient encore jeunes lorsque ce mouvement ébranlait la société québécoise. Ce mouvement social a réussi à marquer le Québec et il est tentant de reproduire cette recette pour la crise environnementale. Mais, si la GGI était une tactique adaptée à la gratuité scolaire, elle est beaucoup plus faible contre l’écocide.
Je pense que la grève générale illimitée n’est pas la tactique adéquate à notre lutte et je crains que nous tombions dans un mauvais réflexe tactique en cherchant à faire de la GGI la voile de tous nos combats.
Il est peut-être temps de réinventer notre stratégie ; c’est peut-être le temps de militer autrement.
Selon moi, une des grandes faiblesses du mouvement écologique est sa portée symbolique. La richesse, l’ascension sociale et la consommation sont encore des sources de motivation. Le constat n’est pas nouveau, il nous manque un récit rassembleur et puissant qui puisse mobiliser et porter le peuple québécois vers une société nouvelle. Nous devons ouvrir l’univers des possibles dans l’imaginaire de la population et le milieu militant étudiant a toutes les qualités pour le faire.
Une façon de militer autrement pourrait donc être de s’atteler au combat culturel contre l’hégémonie capitaliste. Montrer que les étudiant-e-s ont une vision autre ; une utopie réalisable. Nous pourrions inonder le Québec d’histoires, de nouvelles et de poèmes. Recouvrir les murs de fresques, de vers et d’images. Faire déborder nos conversations d’anecdotes, d’utopies et d’alternatives. Reconquérir internet par des films, des podcasts et des vidéos. Crier nos valeurs dans les rues jusqu’à ce que l’asphalte les ait acquises. Faire de la désobéissance civile, des blocages, des grèves, des actions symboliques, montrer que nous ne sommes pas d’accord et que nous allons lutter. Faire germer un imaginaire de la communauté, de l’amour et de la résistance.
Bon, j’arrête mon envolée lyrique idéaliste, mais mon point est qu’en créant un récit du monde d’après qui semble réalisable et désirable, nous nous dotons d’un but à atteindre. Militer pour quelque chose de beau est plus motivant pour les militants et plus attirant pour les militants en devenir que de lutter constamment en opposition au système.
Prendre part au combat culturel n’est qu’un exemple parmi des dizaines d’autres stratégies que pourrait prendre le mouvement étudiant. Nous pourrions aussi axer nos efforts sur la démocratisation de la société ou la création d’espaces d’expérimentation qui sont des avenues qui peuvent se valoir autant.
Conclusion
J’ai l’impression que le mouvement étudiant confond sa stratégie avec la tactique de la GGI. Il est important de dissocier les deux. Que nous employions la GGI ou non, il nous faut une stratégie globale pour le mouvement étudiant et elle ne semble pas être clairement définie actuellement. Je pense que nous y gagnerions tous si les associations et les groupes militants entamaient un travail de réflexion commun.
Nous nous devons de gagner la lutte contre la destruction du vivant, mais le système en place est résilient et puissant, nous ne pouvons pas nous permettre l’économie de réflexions stratégiques.
Nous vivons la fin d’un monde et il ne faut plus craindre de créer et d’innover. Le passé peut être une inspiration, mais je pense que le mouvement étudiant a besoin d’un renouveau.
Avec amour et rage,
¹ ÉcoloGGI est un groupe de militants travaillant à créer un processus qui permettra d’établir des revendications et de bâtir des ponts vers une future Grève Générale Illimitée. Source EcoloGGI, « Qui sommes-nous? », dans EcoloGGI.org.
² Un écocide constitue une « grave atteinte portée à l’environnement, entraînant des dommages majeurs à un ou plusieurs écosystèmes, et pouvant aboutir à leur destruction. » Source : Dictionnaire de français Larousse, « Écocide », dans Larousse.fr.
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