top of page

The Good, the Bad and the Ugly Trans Body

Fred Lamarre

La médicalisation de la transidentité comme outil de contrôle social


Dans un contexte de politisation et scrutation accrue de la transidentité, cet article tente de souligner comment la médicalisation et la pathologisation des corps et identités transgenres permettent au domaine médical, et par extension, à l’État, de conserver un contrôle total sur les individus. Pour ce faire, il est important de comprendre la théorie du biopouvoir ainsi que les manifestations actuelles de ce contrôle sur les corps trans, notamment l’annonce de la création d’un « comité de sages » sur la transidentité par le gouvernement.


Comprendre la médicalisation et le biopouvoir


Issue de la sociologie médicale, la médicalisation est le « processus par lequel les problèmes non médicaux sont définis et traités comme des problèmes médicaux, généralement présentés comme des maladies ou des troubles »¹. Elle permet de soumettre le corps au contrôle des professionnelles de la santé, qui seront libres de délibérer sur la meilleure façon de les traiter. L’expertise de ces expertes devient alors la norme selon laquelle on appréhende ces enjeux. Cette approche tend à omettre que les expertes sont aussi influencées par les biais et préjugés sociaux qui nous entourent.


Ce concept est d’autant plus pertinent lorsqu’il est compris conjointement avec le biopolitique, ou le biopouvoir, une théorie popularisée par le philosophe Michel Foucault. Elle étudie le pouvoir à travers la gestion du corps et des capacités biologiques de la population. Ce contrôle est habituellement exercé dans une visée qui profite à l’État, et dans le cas qui nous concerne, à l’État capitaliste. Le lien entre la biopolitique et la sexualité est facile à identifier : la sexualité, dans sa conception reproductive, permet de reproduire les corps qui seront soumis au biopouvoir de l’État, alors que sa conception érotique permet la perpétuation des structures de pouvoir subjectif².


Cette biopolitisation des corps peut être observée par exemple dans la distinction binaire tracée entre des catégories de corps : ceux dits « blancs » versus ceux dits « de couleur » ; ceux « hétérosexuels » versus ceux « homosexuels ». Cette binarisation permet alors d’identifier ces corps comme biologiquement différents : normaux et anormaux. Cette distinction biologique est souvent mineure, voire inexistante, mais médicalement, et socialement, ces catégories de corps seront mises en opposition. Une fois ces corps opposés, il est alors possible de déterminer ceux qui sont « anormaux » et qui requièrent un traitement. De cela découlera la médicalisation, voire la pathologisation, qui confère le pouvoir aux professionnelles de la santé de gérer et traiter les « déviantes », ce stadier ces individus que les expertes déterminent comme étant nocives au bon fonctionnement de l’État, au nom de la société. Dans ce contexte, le complexe médical remplace le système légal, le contrôle social passant alors d’un modèle pénal à un modèle thérapeutique basé sur l’opinion unilatérale des professionnelles. Cette dynamique est particulièrement observable dans le domaine psychiatrique, où l’internement (lire l’enfermement) des « déviantes » sera souvent perçu comme le seul traitement.


Le contrôle social de la transidentité


La transidentité, comme tous les termes qui ont tenté de la définir au fil du temps, a été pathologisée à outrance depuis ses premières théorisations. Rappelons par ailleurs que cet historique n’est pas terminé dans le monde de la psychologie occidentale. En effet, le DSM-V, manuel diagnostique des troubles de santé mentale, appose le terme « dysphorie de genre » sur les expériences d’incongruence de genre. Dans la CIM-10, le manuel de classification des maladies en psychiatrie en vigueur jusqu’en 2022, on la nomme « travestisme bivalent » ou « trouble de la maturation sexuelle ». Au-delà du simple haut-le-cœur face à ces formulations stigmatisantes, il est pertinent d’observer les implications de cette classification psychiatrique de l’existence trans. En la qualifiant de trouble ou de maladie, on sous-entend qu’elle requiert un traitement : les soins d’affirmation de genre. Encore ici, ce sont les professionnelles qui ont le pouvoir de définir ce qui correspond ou non à l’expérience trans, et lesquelles de ces personnes méritent un traitement.


En nous référant de nouveau à la théorie de Foucault, nous constatons que son exploration de la biopolitique ne mentionne aucunement le genre.


Pourtant, quel meilleur appareil de contrôle maintenu par l’État que le genre ?

Le genre codifie et limite notre rapport aux corps et à la sexualité, ainsi qu’à la société plus largement. Il est l’outil de contrôle passif par excellence, intégré par toustes, autoreproducteur et socialement imposé dans tous les espaces et dans toutes les interactions. Pour Stryker, le genre peut être pensé biopolitiquement en le définissant comme un appareil bureaucratique qui émet les documents permettant à l’État de suivre et de contrôler les corps de leur naissance à leur mort (certificat de naissance, passeport, permis de conduire, carte d’assurance maladie). Ajoutons à cela que le genre permet aussi à l’État, dans le contexte capitaliste, de maintenir la division du travail genrée ; imposant le travail reproductif aux corps que celui-ci aura définis comme féminins. C’est là que se trouve son intérêt à maintenir l’institution du genre. La 11transidentité, dans son incongruence et son anarchie, tente de lui échapper. Elle représente un danger pour cette structure de reproduction sociale. Il est fondamental de la contrôler, de la standardiser, de la fragiliser.


En la médicalisant, il est plus facile de garder un contrôle sur ces corps trans trop sournois.

On définit ce que constitue une personne trans, ainsi que ses besoins. Car, en y réfléchissant, les soins d’affirmations de genre ont une finalité claire : le retour à la binarité. On veut éviter cette ambiguïté destructrice ; inconfortable pour le statu quo. Ainsi, on qualifiera les personnes ne souhaitant pas modifier leur corps de travesties ou de « fauxsse » trans³. Cette fixation sur les interventions médicales comme la caractéristique essentielle de la transidentité occulte la beauté de sa complexité, et permet de stigmatiser celleux qui choisissent parfois de renoncer à ces interventions : arrêter l’hormonothérapie ou tenter de reverser des chirurgies, c’est détransitionner, c’est regretter. Est-ce seulement nos corps et nos hormones qui nous rendent trans ?


Horizons proches


Pourquoi aborder ce sujet maintenant ? Quel contexte politique justifie une telle réflexion ? Le 5 décembre dernier, le gouvernement provincial annonçait la composition d’un « comité des sages » qui aura pour but de « conseiller le gouvernement sur les questions touchant l’identité de genre »⁴. Sous l’égide du Ministère de la famille, ce comité représentera l’institution suprême de délibération sur le futur des corps trans au Québec. On y retrouve un médecin pédiatre, sans expertise au sein de la communauté trans, un juriste et une curatrice publique entretenant des liens douteux avec des organismes au féminisme traversé par des relents de transphobie (entre autres). On observe ici qu’encore une fois, les « expertes » sont considérées comme plus aptes à statuer sur une question sociale que les sujets elleux-mêmes. Notre revendication ne se résume pas à réclamer la présence d’une personne trans sur ce comité. Elle est plus simple, mais plus émancipatrice : son abolition. Que l’État cesse de légiférer notre existence et de confiner nos corps dans son contrôle médical, légal et social. Mais sachant cela impossible, la solution est claire : il faut détruire l’État.


¹ Trad. libre de Jodie M. Dewey et Melissa M. Gesbeck, « (Dys) Functional Diagnosing: Mental Health Diagnosis, Medicalization, and the Making of Transgender Patients », Humanity & Society, vol. 41, no 1, SAGE Publications Inc, février 2017, p. 37— 72, en ligne, <doi : 10.1177/0160597615604651>.

² Susan Stryker, « Biopolitics », TSQ : Transgender Studies Quarterly, vol. 1, no 1— 2, mai 2014, p. 38— 42, en ligne, <doi : 10.1215/23289252-2399542>.

³ Cette tendance peut être observée dans le courant transmédicaliste, qui conçoit la dysphorie de genre et les interventions médicales comme les critères de légitimité de la transidentité. Ce courant est souvent utilisé pour nier la validité des personnes non-binaires ou des personnes trans refusant cette imposition clinique de binarité.

⁴ Stéphane Bordeleau, « Identité de genre : Québec présente son comité de sages », Radio-Canada, section Politique provinciale, en ligne,.

⁵ Whitney Barnes, « The Medicalization of Transgenderism », dans Trans Health, 18 juillet 2001, en ligne.


Comments


bottom of page