
je regarde depuis le pont du navire, le port qui fond sous les marées
flammes agitées de la mer dans le sédiment des brouillards
le sel s’accumule de sa mémoire
brûle comme une chanson abandonnée
il fond aussi un autre port, comme tous les ports du passé
maintenant il est trop tard pour penser
dans les rues de quelle ville j’ai perdu la vie
j’étais à bout de souffle dans quelles places désertées
coinçait silencieux dans ma gorge comme un cri
le long des rues sans feuilles où je tiens les gouttes de pluie
le bonheur était possible peut-être à l’époque
une fenêtre qui réchauffe à travers la neige
un lit, un foyer, dans le jaune un souper
les sourires d’une famille qui ne tient pas d’épée
la chaleur d’un nid, le froid d’un piège
le bonheur était une illusion peut-être à l’époque
maintenant le silence est aussi bleu qu’un matin
je ne cherche plus le souffle amer de l’espoir ça fait longtemps
j’embrasse mes ténèbres comme les envies de printemps
on était comme des cascades sautant des étoiles des ravins
traversé des montagnes qui résistent depuis mille ans
sur les chevaux furieux nés des écumes rouges des sept océans
comme si l’on avait caché le bruit de jugement dans leurs crins
parfois j’entendais une voix au loin
un cri sismique qui ébranle les âmes
un vent sauvage qui fait parler les lames
laissez-le monter ! laissez-le monter !
elle disait
laissez le feu monter
dans les villes de la misère
allumons les rues, allumons les boulevards
la faim de nos cœurs ce soir
calmons la par les flammes sévères
et les flammes remplissaient les rues éventées
leurs griffes chaudes dans nos poumons on les a inhalées
les villes
qui respirent du poison de leurs cheminées
où les morts pendent aux réverbères
on a mis le feu à des dizaines d’entre elles
avec notre histoire dérapée
je me souviens de ceux qui n’ont pas été vécus maintenant
je me souviens de ce qui restait dans les flammes
les épées que l’on a forgées des aciers incandescents
on les a laissés dans le coffre de cendres blêmes
et les chemins de fer ont rongé nos effrois
on a regardé à peine une dernière fois
sur les prés violets depuis les barreaux froids
personne ne nous a salués
personne n’a attendu aux escaliers
enterrant les traces des sabots dans nos rêves
on a écrasé nos visages rebelles jusqu’à ce qu’ils crèvent
je regarde maintenant des ports fondus
au soir salé des mémoires perdues
et dans ces eaux grises de l’oubli
je suis un voyageur de l’infini
embarquant le manque de l’aube des nuits
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