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Évaluer ou punir ? : Partie 2 – Comment le R-18 renforce le profilage racial et la discrimination.

AFESPED-UQAM

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Tant au niveau de son histoire[1], de son usage que du texte qui le constitue, le R-18 produit tendanciellement des «sur-signalements», sans égard pour les « victimes collatérales », et n’admet aucune responsabilisation par rapport aux signalements abusifs.


Concrètement, ce « sur-signalement » fonctionne sur la base d’une confusion entretenue – par le R-18 et le discours sur ce règlement, mais aussi par certains individus –  entre le régime d’évaluation et le régime punitif. Les effets concrets de cette confusion engendre des abus du R-18 qui eux s’inscrivent dans un logique de discrimination.


C’est un fait connu de l’administration de l’UQAM, le R-18 vise davantage les étudiant.es étranger.ères et les personnes racisées. Malgré plusieurs plaintes, rien n’a été mis en place pour remédier à ce problème de discrimination. Cette tendance a des conséquences graves sur la trajectoire académique de centaines d’étudiant.es chaque année.   


Qui subit le plus les accusations de plagiat au R-18 ? 


À priori, les tendances à l’abus que nous avons esquissées dans la première partie pourraient viser tout le monde de façon égale. On pourrait avoir affaire à un règlement libéral qui pratique le « voile d’ignorance » en matière d’abus et sur-punit tout le monde « sans discrimination ». Ce serait affreux, mais ce serait «égalitaire».    


Or, ce n’est pas le cas. D’après les dires d’anciens membres du personnels, d’après ce que nous disent certain.es enseignant.es et quand on porte attention au récurrences dans notre travail d’accompagnement, on remarque que le R-18 cible de façon excessivement disproportionné les étudiant.es étrangers et les étudiant.es racisé.es.


On nous a avoué, dans des réunions d’instances avec la direction, de façon à peine voilée, qu’il y avait un problème de «profilage racial» dans l’utilisation du R-18 et que ça « dure depuis des années ». Malgré notre engagement actuel, nous devons admettre que nous nous saisissons de ce problème bien tardivement. Des groupes uqamiens représentant les étudiant.es étrangers et racisées nous ont précédés dans cette dénonciation en déposant une plainte pour discrimination à l’UQAM il y a de cela quelques années. 


Les statistiques entourant les étudiant.es étrangers.ères


Pour qu’on puisse parler de discrimination, il faut des données probantes qui indiquent de façon évidente qu’il y a un problème. Bien que nous n’ayons pas accès au registre des signalements de plagiat, nous avons tout de même réussi à trouver un document qui nous indique qu’il y a un grave problème de surreprésentation dans les signalements. En 2015, un enseignant de l’UQAM avait eu accès aux statistiques entourant le « plagiat » afin de rédiger une enquête sur les « problèmes » de la triche à l’université. Il avait classé les statiques en fonction du pays de provenance des étudiant.es.



Alors qu’on pouvait s’attendre à une légère tendance à la surreprésentation pour les étudiant.es de l’international (et encore), et qu’on peut admettre quelques variations, nous avons ici affaire à une surreprésentation qui bat tous les records. 


En 2015, alors qu’ils et elles représentaient 6,7% des étudiant.es, ils et elles comptaient pour plus de 34% des « plagiats ». La surreprésentation atteint un facteur de cinq (5). Ce n’est pas une surreprésentation de 1,5 ou de 2. C’est CINQ FOIS plus!  


Pour qu’un tel écart statistique se présente, on ne peut pas soutenir que celui-ci soit dû « largement » à une « différence » dans les « normes de présentation bibliographique » qui ont cours dans les universités africaines. Soutenir cela c’est se voiler la face. Un écart statistique aussi significatif est nécessairement lié à un phénomène structurel, à un enjeu de profilage racial. 


Mais on nous dira peut-être que nous exagérons. Jamais il ne pourrait y avoir un tel problème de racisme entourant le « plagiat ». On nous a déjà dit que nous sous-estimons la différence entre les normes de citations des universités « africaines » et les normes des universités canadiennes. Nous croyons que cela est encore une façon d’éviter le coeur du problème. Sur quelle base affirmons nous que l’Afrique – pris ici comme un «grand pays», un ailleurs inconnu et indifférencié – a des normes bibliographiques à ce point là distinctes des nôtres? Entre les universités sénégalaises ou nigérianes, tunisiennes ou tanzaniennes, n’y a-t-il pas des différences de pratique ? On crée ici un tout indistinct pour mieux éviter de localiser le problème. En fondant notre raisonnement sur une cause imaginée, le fait que les universités « africaines » auraient de façon homogène des «normes bibliographiques» différentes, on s’arrange pour ne pas voir le vrai problème. 


Ce ne sont pas les universités « africaines » qui produisent le délit de plagiat à l’UQAM, ce ne sont pas elles qui ont adopté et qui appliquent le règlement 18, c’est nous-même! 


Nous avons mis en place un règlement qui engendre cette situation et c’est bien nous qui faisons des signalements. Ce n’est pas les enseignant.es de l’université Cheikh-Anta-Diop qui déposent des plaintes à l’UQAM et ce n’est certainement pas les étudiant.es africain.es eux-même qui envoient le signalement !


L’université est le produit d’une société discriminatoire 


En mettant l’accent sur les étudiant.es en provenance de l’international, nous touchons à une dimension majeure du problème. Mais on ne doit pas perdre de vue cette autre dimension: les signalement touchent aussi de façon disproportionnée une catégorie d’étudiant.es qui a fait sa scolarité dans le système québécois, soit les étudiant.es québécois racisé.es.


Dans le cadre de notre enquête, nous avons contacté des collègues d’associations étudiantes collégiales. L’association étudiante du cégep de Maisonneuve, la SOGEECOM, nous a confirmé qu’il y avait bien une surreprésentation des étudiant.es racisées dans les signalements pour plagiat bien que ceux-ci soient des purs produits du système québécois. 


Nous avons remarqué également le même problème au niveau des cas qui nous ont été signalés. Les personnes racisées qui ont fait leurs études primaires et secondaires dans les institutions québécoises sont surreprésentés dans les cas de plagiat par rapport à leurs collègues blancs. 


Tant que nous n’aurons pas accès au registre des infractions de nature académique, nous ne pouvons pas confirmer, chiffres à l’appui, cette tendance. Mais serait-il si surprenant que l’école, notre école, ne reproduise pas le racisme systémique qu’on observe dans le reste de la société ? 


Il y a du profilage racial dans les interpellations policières, il y a du racisme dans l’accès à l’emploi, dans l’accès au logement. Pourquoi il n’y en aurait pas à l’université, à l’UQAM ? Sur la base de quelle mesure, de quelle pratique exceptionnelle, parviendrait-on à ne pas reproduire la tendance générale dans la société ? 

En tant qu’étudiant.es à l’UQAM, nous pensons qu’il est de notre devoir d’intervenir pour de porter un regard critique sur les règlements ou les pratiques qui reproduisent la discrimination et de les dénoncer ici et maintenant. Devant les abus, nous ne pouvons pas rester passif.ves.   


Les conséquences matérielles des signalements abusifs au R-18. 


Depuis le début de cette analyse, nous n’avons pas spécialement mis de l’avant les effets de  signalements abusifs au R-18. 


Nous croyons qu’un règlement injuste devrait pouvoir être critiqué frontalement sans qu’on ait besoin de faire appel aux bons sentiments face à des situations d’abus tragiques. Bien que nous considérons comme essentielle la dénonciation des abus par les personnes concernées et que nous encourageons l’accumulation et la diffusion de témoignages, nous croyons que le fondement de notre argumentaire ne doit pas reposer sur une série de portraits de victimes exemplaires. Ceci pourrait encore une fois favoriser une vision paternaliste du problème, réduire l’enjeu à une série de cas particuliers au détriment de la quête de justice et de changement structurels qui nous anime. Nous croyons que la solution passe par une transformation institutionnelle et que celle-ci doit primer dans l’argumentaire.


Néanmoins, afin de ne pas évacuer les conséquences réelles des abus, nous présenterons ici quelques domaines dans lesquels les conséquences d’un signalement au R-18 sont particulièrement importantes. 


Si nous y allons en ordre, on peut dire que le premier domaine comprend les conséquences liées à l’effet immédiat, psychologique de la réception d’un signalement abusif. Ce signalement engendre une rupture dans le parcours académique. Il remplace la joie de l’apprentissage, le désir de collaborer avec les autres étudiant.es ou la persévérance dans le parcours académique par la honte et le repli sur soi. 


Plus souvent qu’autrement la convocation à des fins d’enquête dans le R-18 ne fait que reproduire cette tendance, voire même l’amplifier. Nous avons vu des étudiant.es reçu.es et questionné.es par six personnes du comité sur les infractions académiques. Pourquoi avoir besoin de six personnes pour questionner ? Déjà à trois personnes, on devrait se poser des questions, mais six… On est clairement au-dessus d’un nombre raisonnable pour un comité d’enquête. À quoi sert le fait d’arriver en groupe, en gang? Est-ce que ça sert à l'impartialité, à la multiplication des témoins ou bien est-ce que ça ne sert pas plutôt à provoquer un effet psychologique intimidant reposant sur le nombre?


Ce n’est pas tout. Nous avons assisté à plusieurs convocations. Bien souvent, les questions posées semblent susciter la méfiance ou la peur, on a l’impression que l’objectif c’est de piéger ou du moins que le modèle de l’enquête qui est utilisée se rapproche dangereusement de l’interrogatoire de police. La convocation en elle-même est déjà suffisamment angoissante, à quoi sert ce redoublement ?  


Pour un.e étudiant.e innocent.e qui est victime d'abus et/ou d’abus discriminatoire, quels peuvent être les effets d’un tel traitement? Ce n’est pas compliqué : l’abandon des études, la méfiance à l’égard de tout travail collaboratif, le découragement face à une institution qui vous punit injustement. La tendance abusive et discriminatoire du R-18 a clairement déjà provoqué des abandons d’études pour plusieurs étudiant.es accusés injustement.   


Le deuxième domaine où on observe des conséquences concrètes concerne les bourses et l’emploi. Une fois qu’un signalement est fait au R-18, le registrariat met un croisillon (#) au dossier. La production de relevés de note comme la diplomation ne peuvent avoir lieu. Dans certains cas, cela n’engendre pas des effets importants. Par exemple, si on touche des prêts et bourses du gouvernement du Québec, le virement ne sera pas suspendu, car on est réputé poursuivre ses études.


Toutefois, dans le cas des étudiant.es qui touchent des bourses conditionnelles à la production d’un relevé de note, leur versement est suspendu. Il en va de même pour celles et ceux qui ont un emploi lié à leur condition étudiante, donc un emploi nécessitant la production régulière d’un relevé de note. De façon générale, c’est les étudiant.es qui proviennent de l’international qui touchent de telles bourses et c’est également ceux-ci et celles-ci qui ont des conditions restrictives liées à leurs études dans leur emploi étudiant. 


Comment combler le manque à gagner durant cette période si on ne peut travailler ? Le règlement 18 soutient que « jusqu'à ce qu'une décision rendue à l'effet contraire devienne finale et exécutoire, l'étudiante, l'étudiant à qui une infraction est reprochée a le droit de poursuivre ses études» (Article 10.3, R-18). Mais, dans les faits, peut-on vraiment «poursuivre » nos études si on reçoit un signalement, voire une condamnation ? C’est le cas pour plusieurs, mais certainement pas pour tout le monde: cela dépend de la situation des personnes qui reçoivent le signalement. Dans certains cas, le signalement engendre une situation où on ne peut plus percevoir l’argent qui nous permet d’étudier. 


Le troisième domaine est l’endroit où les conséquences du signalement sont particulièrement importantes. Nous parlons bien sûr du renouvellement du visa. Pour continuer ses études, l’étudiant.e provenant de l’international a besoin d’avoir le droit d’être au pays. Pour ce faire, il ou elle doit obtenir un renouvellement. Les modalités de renouvellement diffèrent en fonction des accords internationaux. 


Dans le cas des étudiant.es africains qu’on a rencontré plus haut, le processus de renouvellement passe principalement par le ministère de l’immigration canadienne et le ministère de l’immigration québécois. Les deux ministères demandent un relevé de note complet pour effectuer le renouvellement. Le signalement suspend la notation, si bien que les délais s’accumulent. Le ministère de l’immigration, de la francisation et de l’intégration (le MIFI) nécessite de 5 à 7 semaines pour effectuer un renouvellement. Pour l’IRCC, les délais sont généralement encore plus longs. Quel est le statut de l’étudiant.e pendant ce temps ? Dans le meilleur des cas, son statut est précaire, dans le pire des cas, le signalement pour «infraction de nature académique» peut rendre la présence au pays de celui-ci ou celle-ci illégale. Bien sûr, les personnes qui effectuent le signalement ou l'UQAM ne font pas le sale boulot de déporter des étudiants victime d’abus de signalement, mais peut-on vraiment dire qu’elle n’a pas la moindre once de responsabilité dans le processus d’illégalisation[2] de certain.es étudiant.es


Peut-on être reconnu coupable tout en étant innocent ? 


Jusqu’à présent nous nous sommes intéressé.es aux signalements sans égards pour les sanctions, les «condamnations». Compte tenu de la tendance abusive du règlement, il est plus que probable qu’un nombre important de personnes aient déjà été condamnées tout en étant innocentes. 


L’article 4.3.2.1 sur la « Présence de l’étudiant, de l’étudiante», nous dit que « L'étudiante, l'étudiant qui choisit de ne pas se présenter devant le Comité est réputé avoir admis les faits qui lui sont reprochés. » Nous comprenons que l’absence d’un.e étudiant.e à la convocation devant le comité complique le travail de ce dernier. Mais, le défaut de présence n’est pas un aveu de culpabilité. Ce défaut peut être un argument dans le cadre d’un jugement in absentia, mais de là à dire qu’il constitue une preuve positive, on confond enquête et condamnation. Ceci est encore la marque d’un règlement qui confond le jugement et la « croyance », les arguments et les aveux, c’est la marque d’un règlement qui affirme que tous.tes les étudiant.es qui ont subi un signalement sont coupables jusqu’à preuve du contraire.


Prenons l’exemple d’étudiant.es isolé.es et anxieux.ses qui reçoivent un signalement abusif. On sait l’effet psychologique que provoque une accusation, même si elle est infondée. Il est tout à fait possible que devant cette accusation, on fige, on se retrouve en plein épisode dépressif, ou qu’on abandonne consciemment ou inconsciemment toute démarche. Une absence est une absence, elle peut avoir plusieurs causes, être justifiée ou non mais elle ne constitue pas un aveu.


Tant qu’il n’y aura pas d’enquête indépendante réalisée sur les abus du R-18, nous ne pourrons pas faire la lumière non plus sur les condamnations suite à des signalements abusifs. 


Rappelons-le, nous étudions dans une institution censée nous apprendre les normes méthodologiques et bibliographiques. Combien de gens ont dû passer devant le comité pour avoir omis d’indiquer des sources à chaque affirmation dans un travail de 30 pages ? Est-ce que des gens ont déjà été expulsés pour avoir mal cité, pour avoir repris des idées maladroitement, dans une dissertation ? 


Ce qu’on sait toutefois, c’est que dans le cas d’étudiant.es qui auraient eu la malchance de recevoir deux signalement abusif et/ou discriminatoires, le R-18 considère que le comité facultaire est habilité à prendre une décision sans avoir à rencontrer l’étudiant.e. On n’établit pas des dispositions limitatives face aux abus, non, on les encourage ! Si jamais on a cette malchance, alors là, notre parole ne vaut plus rien. 



***


Si nous avons décidé de nous lancer dans cette campagne c’est que nous considérons qu’il faut rompre avec la culture du silence et de la honte entourant le « plagiat » et les infractions de nature académique. Nous devons en parler ouvertement. 


Le R-18 affecte de façon disproportionnée les étudiant.es racisées. Déjà, en discutant autour de nous de «plagiat», nous avons découvert des histoires d’abus insoupçonnées qui étaient enfouies sous un sentiment de honte. Avec cette analyse nous croyons que nous n’avons découvert que la pointe de l’Iceberg. Les histoires d’injustices sont encore trop nombreuses et elles doivent être reportées.


Si vous, ou certains de vos camarades de classe, pensez avoir été victime d’abus du R-18, n’hésitez pas à nous écrire et nous vous accompagnerons dans le processus. Nous pouvons vous aider dans la rédaction de plainte et vous accompagner si vous êtes convoqué devant un comité facultaire.  


Nous croyons qu’il est grand temps de dénoncer publiquement les abus de ce règlement. Il est temps de faire le bilan de son application.


Est-ce qu’il est à jeter ou bien peut-il être réformé? Nous ne pouvons pas trancher pour le moment et nous croyons qu’il serait préférable que tous les étudiant.es participent au débat, spécifiquement les étudiant.es victimes de discrimination. Mais pour pouvoir avoir un débat critique et basé sur des faits, il nous faut une enquête publique sur le R-18, une enquête indépendante sur ses abus. Nous sommes déterminé.es à faire la lumière sur cette histoire.


Mais d’ici à ce que ça change, nous croyons qu’il est de notre devoir de nous organiser pour défendre nos droits face aux abus et aux pratiques discriminatoires de signalement au R-18. Dans les prochains temps, nous organiserons un événement. Il est temps de mettre en place des recours face à la minorité qui abuse des signalements au R-18. Les étudiant.es de toutes les facultés sont les bienvenu.es à cet évènement. 


[1] Voir Histoire d’une panique morale à l’âge numérique

[2] Les personnes migrantes qui n’ont pas de statut sont «illégalisés» par l’appareil d’État. Aucun individu n’est en soi un « immigrant illégal », c’est les lois restrictives qui produisent de tels « délits » et de tels sujets. C’est sur la base de ces « délits » qu’on réalise des traitements différé. Certains obtiennent un visa temporaire, d’autres sont menacés par l’État et un dernier ensemble, généralement les travailleurs sans statut, se retrouve en prison, par exemple au « Centre de surveillance de l’immigration » à Laval. 



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