Le Projet de Loi 31 (PL31) déposé au début de l’été dernier par la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, de la CAQ raviva manifestement le débat public quant à la question du logement ainsi que les mobilisations populaires en faveur de l’accès libre et inconditionnel pour toustes à un domicile. En effet, c’est sans étonnement, vu la composition sociodémographique du gouvernement à son initiative, que ledit projet de loi comporte des éléments aux nombreuses conséquences perverses en ce qui a trait aux droits des locataires.
À ce titre, l’on peut notamment mentionner son 19e article, supprimant l’obligation pour les municipalités de réinjecter dans des projets de logements sociaux les recettes engendrées par l’aliénation de leur propriété foncière. L’article 4, bonifiant de façon dérisoire la compensation devant être versée aux personnes locataires évincées constitue quant à lui un simulacre de contrepartie conférant un semblant de crédibilité au projet de loi dans son ensemble clairement favorable aux propriétaires si l’on considère la hausse fulgurante des prix sur le marché locatif. Enfin, d’entre toutes ses dispositions, c’est sans doute la 7e, abrogeant le droit accordé aux locataires sortantes de céder au même loyer leur bail à la personne successeuse, qui, en menaçant un des derniers remparts à la hausse des loyers, fit réellement du PL31 le déclencheur d’un tollé populaire pavant la voie à la constitution de nouvelles organisations politiques autonomes dont celle signant cet article.
Or, autant constitue-t-il une nouvelle attaque à l’endroit de la classe populaire, soulignons que le dépôt de ce projet de loi est totalement indépendant de la permanente crise du logement qui sévit. Les origines de cette dernière devant plutôt être cherchées à même le socle capitaliste sur lequel reposent nos sociétés.
La crise du logement en chiffres
Jetons d’abord un coup d’œil à quelques éléments de statistique pour constater toute la justesse de l’emploi du qualificatif « crise » pour désigner l’état de l’accessibilité au logement : Tout type de logement confondu, les biens immobiliers résidentiels connurent une hausse moyenne de 42,7 % de leur prix au cours des 5 dernières années au Québec, alors que sur la même période la part budgétaire allouée au paiement hypothécaire est passée de 33,7 % à 43,9 % pour un foyer au revenu médian de 43 000 $. Par ailleurs, 15 % des ménages locataires consacrent actuellement plus de 50 % de leur revenu pour s’acquitter de leur loyer qui, soit dit en passant, connut une augmentation moyenne sur la seule dernière année de 13 %¹. Ainsi, il n’est plus surprenant que de devoir compter 1243 $ par mois pour se permettre un simple 3 ½, et ce en se fiant aux données de l’ensemble de la province². À ces derniers chiffres peut-être ajouté que la contrainte à l’itinérance est loin de se résorber ; le tout combiné au démantèlement toujours aussi récurrent et violent des campements ou des squats.
Le capitalisme à l’origine de la crise
Si ces faits témoignent certes du piètre niveau d’accessibilité au logement, en quoi le caractère capitaliste du présent ordre économique en empêcherait-il le dépassement ? Tout d’abord, parce que la naissance dudit système est elle-même à l’origine de la problématique qui nous intéresse. Effectivement, comme l’observait déjà Engels³, l’avènement du capitalisme, notamment au travers du mouvement des enclosures aux 16e et 17e siècles, vit la population rurale se ruer vers des villes aux effectifs résidentiels insuffisants au regard de l’allure de la croissance démographique alors en cours. Conséquemment, le phénomène en question engendra, il y a de cela déjà plus de deux siècles, une hausse artificielle des loyers ayant elle-même pour corolaire l’entassement d’un nombre croissant de corps par foyer, le refoulement des ouvriers du centre vers la périphérie urbaine ainsi qu’une augmentation du nombre d’individus se retrouvant dans l’incapacité de se loger.
Or, si le régime capitaliste est en bonne partie l’instigateur de la crise du logement en quoi ce premier participe-t-il à la perpétuation de la donne sociale en question ? L’équation est on ne peut plus simple : le capitalisme désigne un stade du développement historico-économique reposant sur l’accumulation perpétuelle de la richesse, mais surtout l’extraction par la classe bourgeoise de la valeur du travail de la classe prolétarienne excédant le strict nécessaire à sa propre reproduction.
Dès lors, un système fondé sur l’exploitation optimale du travail d’une classe par une autre n’a aucun intérêt à régler la crise du logement.
Au contraire, sans l’empêcher de vendre sa force de travail, le maintien de la classe laborieuse dans cette posture précaire permet une extraction optimale des richesses par les propriétaires immobiliers et, parallèlement, prévient le développement de mouvements syndicalistes et populaires, bénéficiant ainsi aussi aux propriétaires de moyens de production.
Le piège interventionniste
Par ailleurs, certaines pensées pourraient voir dans l’État le seul salut possible face à la question du logement qui ronge notre société. Or, celui-ci s’avère d’aucune aide, voire pire. Effectivement, sans compter les nombreuses preuves de l’inclination naturelle du pouvoir étatique pour l’intérêt des propriétaires, tel qu’en témoigne le PL31, des réformes visant à réguler plus sévèrement la spéculation immobilière et l’augmentation des loyers entraineraient une baisse correspondante du salaire, n’améliorant en rien in fine les conditions matérielles de la classe exploitée. Instrument de domination d’une classe sur une autre, soit de la bourgeoisie sur le prolétariat en régime capitaliste, l’État ne peut que nuire. La question du logement ne trouvera réponse que dans un changement qualitatif de l’actuel régime politique et économique.
Immigration, classe et crise du logement
Cela dit, mis à part l’État un second instrument idéologique, gagnant en importance ces derniers temps en se fiant au discours médiatique québécois, peut aussi servir la perpétuation de l’hégémonie bourgeoise en instituant des divisions abstraites, arbitraires, fictives au sein de la classe dominée, empêchant ainsi que se rencontrent les conditions nécessaires à son émancipation.
À ce titre, Marx et Engels avaient vu juste en analysant le phénomène de rivalité anglo-irlandaise de la fin du 19e siècle en tant qu’antagonisme instrumental empêchant les classes exploitées de s’unir contre la bourgeoisie, leurs réelles oppresseures⁴.
Ainsi, si ce même instrument idéologique de domination, plus communément appelé racisme, est tout aussi important aujourd’hui, c’est la forme d’un discours médiatique faisant porter la responsabilité de la présente crise du logement sur l’immigration que semble incarner le plus organiquement et couramment celui-ci. En effet, bien plus qu’une simple chance accrue de se voir rejetée par une propriétaire ouvertement islamophobe ou par une locatrice empreinte d’autant d’inconscients préjugés, ce venin que crachent à l’antenne les chantres de l’incompatibilité civilisationnelle, du terrorisme islamiste, du péril de notre culture universaliste, a pour conséquence de nous détourner de nos réels bourreaux communs.
Or, si saugrenue soit l’imputation du manque de logements à l’immigration, faut-il tout de même reconnaitre que l’ampleur de son imprégnation idéologique pousse la fiction dans la réalité la plus matérielle.
À ce titre, soulignons la dépréciation que connait systématiquement la valeur des biens immobiliers de quartiers investis par des communautés immigrantes, et ce d’autant plus lorsque celles-ci sont non-blanches.
Universalisme, racisme et contradiction
Plus généralement, ce discours raciste met en exergue une contradiction fondamentale du présent ordre économique quant à sa prétention universaliste. En d’autres termes, si le libéralisme prône d’un côté l’élimination des barrières culturelles, géographiques, nationales ou économiques au profit d’un marché toujours plus libre de contraintes hormis celles du marché, du profit et de la croissance, comment expliquer que cette même idéologie libérale tolère de l’autre un certain degré de discrimination arbitraire ?
Tentant d’offrir une explication à cet aspect inconséquent de la structure idéologico-économique du capitalisme, Balibar et Wallerstein suggèreront que ce premier présage plutôt de la supériorité absolue de l’impératif de croissance au sein de ladite structure⁵. Dès lors, le sens véritable de l’universalité libérale ne se rapportant qu’à l’accumulation croissante de richesses, les circonstances peuvent donc motiver l’idéologie en question à trahir ce qui se présente en première instance comme un universel humaniste en fonction de ses principes véritablement immuables.
Ainsi, tant et aussi longtemps qu’insinuer une haine pourtant intrinsèquement anti-universaliste à l’endroit des personnes immigrantes chez la population québécoise perturbera le développement d’une conscience de classe pouvant mener au renversement du statu quo, l’ordre bourgeois aura recours à un tel stratagème. Plutôt qu’une crise du racisme comme apparue ex nihilo qu’aiment à nous faire voir les médias dominants, nous assistons en réalité à un racisme de crise, un racisme visant à détourner la colère populaire des spéculateurs immobiliers à leur origine afin de perpétuer et d’optimiser le régime d’accumulation et de concentration de richesses en cours.
En somme, il importe donc de s’attaquer à cette mystification des masses à laquelle s’adonnent les médias et l’État bourgeois pour le compte de nos oppresseurs afin d’en dévoiler les rouages véritables, ceux de la lutte de classes. Nous devons incarner un contre-discours à l’idéologie libérale, celui de la voie révolutionnaire.
¹ Portrait de l’habitation dans le Grand Montréal, no 10, Communauté métropolitaine de Montréal, « Cahiers Métropolitains », mai 2022, p. 74, 81 et 97.
² Crise du logement : On s’enfonce encore plus, Publications, Montréal, Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), juin 2023, p. 16.
³ Friedrich Engels, La question du logement, Marxist.org, 1872.
⁴ « Marx et le détour irlandais », dans Nouveaux Cahiers du socialisme, 29 octobre 2014.
⁵ Balibar, Étienne et Immanuel Wallerstein, « Le conflit de classes dans l’économie-monde capitaliste », Race, nation, classe : Les identités ambiguës, Paris, La Découverte, coll. « Poche/Sciences humaines et sociales », 2007, p. 153‑168.
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