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  • Antoine Martin

Réponse à "Outil démocratique ou machine à grève"


Article du Montréal Campus intitulé "Outil démocratique ou machine à grève".
Article du Montréal Campus intitulé "Outil démocratique ou machine à grève".

Cette lettre est une réponse au dernier article de Naomie Duckett Zamor et de Charles Séguin intitulé Outil démocratique ou machine à grève¹.


En tant que représentant des personnes étudiantes au Conseil d’administration de l’UQAM, cela fait partie de mon mandat d’assurer un lien avec la communauté étudiante. C’est, entre autres, pourquoi je suis un lecteur régulier de Montréal Campus, car ceci rapporte des perspectives parfois inaccessibles à mes contacts dans les espaces associatifs. C’est alors avec consternation que j’ai lu l’article en question qui propose que les associations étudiantes seraient « prises d’assaut par une frange militante, qui a le champ libre pour voter des grèves et pour défendre des convictions politiques au nom de tous les étudiants et les étudiantes. » Bien évidemment, si c’était le cas, nous aurions une crise devant nous. On pourrait prendre l’exemple de 2015, où il y avait en effet une crise de la représentativité dans certaines associations étudiantes. Il y avait des pratiques douteuses, comme le quorum moral, qui donnaient le droit aux assemblées générales de s’extraire de la nécessité du quorum. Néanmoins, ces pratiques ont eu des conséquences: elles ont mené à une campagne de dissolution de plusieurs associations étudiantes par des membres mécontents.


L’article se lit alors comme une annonce d’un retour de cette époque où même les plus mobilisé-e-s ont perdu foi dans la démocratie directe. C’est un narratif que je trouve loin de la réalité du terrain. Or, je constate plusieurs lacunes méthodologiques et factuelles importantes dans l’article que j’aimerais rectifier. Bien qu’il y ait effectivement un enjeu de participation dans les associations étudiantes, celui-ci ne relève point d’une culture toxique ou d’une conspiration, mais plutôt de la fragilisation du tissu social engendré par la pandémie. Bien que les quorums soient bas, cela établit aussi le fait que le quorum nécessaire pour augmenter ce dernier est lui aussi bas. Autrement dit, ce n’est pas un fait absolu, impossible à changer, que les quorums soient entre 0,7% et 2%: les membres peuvent s’organiser afin de les augmenter. Si ça prend 23 votes positifs pour déclencher une grève, dépendant des chartes, ça prend aussi 23 votes pour monter le quorum.


De plus, persistant dans l’ensemble de l’article est le narratif selon lequel il y aurait un rapport d’animosité entre les exécutifs et la base, car celui-ci « décide de tronquer ses propres règlements. » En effet, il y a parfois des situations dans lesquelles les exécutifs (ou le présidium), malgré leurs meilleures intentions, mésinterprètent les procédures. Celle-ci n’est très souvent pas produite d’une volonté de « tronquer », mais bien d’une mécompréhension. C’est alors le droit des membres de remettre en question, à travers un rappel au règlement en assemblée générale, ces décisions. Si ce membre ne connait pas la procédure pour faire cela, il y a la pratique courante d’avoir une personne « senti »² provenant de l’externe qui est disponible par texto pour répondre à ces types de questions. L’exécutif, encadré par une charte, n’a pas plus de pouvoir que celui que la charte leur octroie. Celle-ci explique la position ambivalente de l’AGEC quant à la question du référendum: lorsqu’une procédure nouvelle (dans le sens qu’elle ne figure pas dans la charte) est employée, il y a un certain jeu d’incertitude. Par contre, encore une fois, les membres disposent du pouvoir d’émettre des modifications de charte afin d’entériner ou non des procédures nouvelles dans la charte pour future utilisation.


Les conseils exécutifs sont aussi encadrés par un cahier de positions. Ce document consolide tous les mandats votés en AG depuis le début de l’existence de l’association. Celle-ci permet d’assurer une culture politique constante à travers l’histoire d’une association étudiante. Les membres des exécutifs, étant encadré-e-s par la charte et le cahier de positions, n’ont effectivement pas la capacité d’agir en dehors des mandats. Ce n’est alors pas exact de dire que «la meilleure façon de faire changer les choses, c’est d’avoir un poste au comité exécutif». Malgré le narratif que les auteur-ice-s de l’article semblent vouloir mettre de l’avant, le comité exécutif est beaucoup plus contraint dans sa capacité d’action. En effet, une des personnes citée dans l’article le dit bien: « il est difficile de faire valoir des opinions qui divergent de ces positionnements », car l’exécutif n’a pas le pouvoir de recevoir une proposition « qui va à l’encontre de celles que prônent l’association ». Ce que prône l’association est le produit d’un processus délibéré en assemblée qui est inscrit ensuite dans un cahier de positions. En effet, étant un document qui contient parfois des positions votées il y a quelques décennies, il parait quelquefois nécessaire de mettre à jour des mandats. Encore une fois, les membres ont le pouvoir de remettre en question celles-ci.


Vous reconnaissez sans doute le fil conducteur de cette réponse : les membres ont beaucoup plus de pouvoir qu’ielles le croient. Bien qu’il existe des personnes d’anciens exécutifs qui ont la difficulté de lâcher prise, chaque année est une occasion pour les exécutifs de réinventer leur culture de travail. Chaque année est une occasion pour les membres de former de nouvelles positions et d’en retravailler d’autres. La réalité est que la démocratie, comme le dit Francesca Polleta, « is an endless meeting »³. : c’est du travail, et ceci compromet intrinsèquement son accessibilité. Il y a bien des choses que nous pouvons faire pour faciliter l’accès, mais ça demande un travail concerté par tous et toutes. Il y a un rouage d’action qui est souvent invisible à cette majorité silencieuse, qui ne voit pas les affiches, qui ne voit pas les délégué-e-s étudiant-e-s qui, comme moi, occupent des postes et participent dans des comités institutionnels qui ne sont pas toujours sympathiques à la présence étudiante. Cette même majorité ne voit pas la logistique nécessaire pour l’organisation d’une assemblée générale, ne voit pas le travail d’accompagner des personnes étudiantes dans leur plainte, ne participe pas dans les comités de mobilisations. Il y a un vrai projet de sensibilisation à faire sur les enjeux à l’UQAM qui rendrait visible ces rouages à cette majorité silencieuse.


J’ose même croire que les journalistes étudiant-e-s peuvent faire partie de ce projet de créer un monde démocratique qui est accessible pour ceux et celles qui ne peuvent pas se permettre l’investissement que représente la démocratie directe. C’est alors que ma consternation devient déception, car cet article ne permet pas une telle chose. Il ne présente pas de possibilité pour les membres de mieux comprendre les rouages de la démocratie directe; il ne fait que prendre un narratif sensationnaliste, il ne fait que sélectionner des citations qui vont en ce sens, pour finalement peindre une image du pouvoir populaire qui est inaccessible et caché.


Moi, je le dis haut et fort: vous, en tant que membre de votre association étudiante, avez le pouvoir! L’exercice de ce pouvoir demande du travail, demande du temps, de l’investissement, mais c’est entre vos mains!


Solidairement, Antoine Martin Représentant des personnes étudiantes au Conseil d’administration de l’UQAM




¹ Naomie Duckett Zamor et Charles Séguin, « Outil démocratique ou machine à grève ? », dans Montréal Campus, 1 décembre 2023.

² Une personne senti assure que l’assemblée générale reste une espace accessible et que les délibérations se font dans le respect.

³ Francesca Polletta, Freedom Is an Endless Meeting: Democracy in American Social Movements, Chicago, University of Chicago Press, 2012, 297 p.

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