Dans un précédent texte, j’ai abordé les tiers lieux, ces espaces d’appropriation collectifs où l’usage est, à l’opposé des non-lieux, multiple et changeant¹. Dans ce court billet, pour susciter la réflexion sur les enjeux des tiers lieux, je vais présenter un lien qui me semble fort juste.
Pour Pignot et Saez dans l’Observatoire, les tiers-lieux « sont protéiformes. Ils obéissent chacun à des microcultures qui font leur identité propre […] Ils font le pari de la “réversibilité des lieux” en concevant des espaces non figés, non dédiés à un type de pratique, pour que des usages non programmés puissent trouver leur place dans le futur. Une définition “en creux” pourrait finalement être une façon de qualifier le tiers-lieu »². Ainsi, ces lieux offrent une opportunité de les moduler et donc de se les approprier en tant qu’individu-e ou groupe.
Le squat, comme pratique de réappropriation de lieux désaffectés, dans le marché locatif ou ayant un usage défini différent de celui de s’y reposer, rentre dans cette dynamique de tiers-lieux. Car d’un espace à l’usage défini ou sans usage, le squat devient une pratique de modification propice à l’apparition d’un tiers-lieu collectif et productif. À l’image du bâtiment 7 à ses débuts, cette pratique permet de revitaliser un espace de vie et ses alentours, le tout en capitalisant sa valeur d’usage où tous les projets sont possibles et envisageables. Donc, cette valeur d’usage, maximisée, s’oppose à la valeur stricte d’échange des biens locatifs et des biens fonciers. Pour Marx, dans sa théorie de la valeur, souligne le double lien de la marchandise entre la valeur d’usage et de la valeur d’échange par le temps de travail mis dans la marchandise. Pourtant, dans un tiers-lieu, il est en contradiction puisqu’il permet de mettre du temps de travail pour consolider la valeur d’usage du lieu tout en permettant la réversibilité de l’usage, donc sa finalité. Elle se place dans une médiation collective de l’usage de l’espace et de sa transformation permanente plutôt que la finalité du bien dans son optimum d’échange.
Et il en est de la police de venir rectifier la valeur d’échange en déséquilibrant l’optimum entre valeur d’usage et valeur d’échange pour favoriser la valeur d’échange, aussi élevée soit-elle, en garantissant la propriété privée et le droit de jouir de son bien, même non utilisé. Ainsi, le squat, comme négation de la valeur d’usage, et par le tiers-lieu qui en découle, vient remettre en doute les préconceptions de l’usage des lieux communs et semi-privés dans le cadre urbain. Je crois donc qu’il y a un lien conceptuel très fort entre les tiers-lieux, la police (la norme/la violence légitime de l’État) et les rapports économiques. En conclusion, il faut toujours garder en tête les rapports démocratiques, les médiations collectives et les forces politico-policiers lorsque l’on pense les tiers-lieux et les squats comme solution à la crise des espaces de vie et des logements que l’on expérience ces dernières années.
¹ Baudens, Quentin, « Apologie des tiers-lieux : Critique des angles morts du politique et de son urbain », Union Libre, vol. 11, no 3, 29 avril 2023, p. 21‑22.
² Saez, Jean-Pierre, « Présentation », L’Observatoire, vol. 52, no 2, Grenoble, Observatoire des politiques culturelles, 2018, p. 7‑8.
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