Le consentement aux soins, principe ou exception?
- Sirine Abdi
- 19 sept.
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Sirine Abdi

Le consentement libre et éclairé est un principe fondamental auquel il est très difficile de déroger en droit canadien et québécois, que ce soit en matière de droit des contrats ou de droit de la famille. Une telle dérogation constituerait une atteinte au droit à l’intégrité, à la liberté et à l’inviolabilité de la personne, lesquels sont garantis par les articles 1 et 24 de la Charte québécoise, l’article 7 de la Charte canadienne et l’article 10 du Code civil du Québec (C.c.Q.). Or, il apparaît que tel n'est pas toujours le cas en droit de la santé. Comment expliquer que certaines exigences légales en termes de consentement dans le milieu médical ne sont toujours pas respectées par les établissements de santé? Hélas, il existe un certain décalage entre le droit et son application concrète.
Que dit la loi?
En principe, le consentement libre et éclairé est nécessaire afin d’administrer des soins requis, des soins non requis, ainsi que pour garder une personne en établissement (art.11 et 26 C.c.Q.). Les exceptions à ce principe sont rares et strictement encadrées. Comme l’affirme la juge Marie-France Bich de la Cour d’appel, « [l]e caractère restreint et restrictif de ces exceptions confirme […] l’importance et la prééminence du principe du consentement personnel de l’individu en cause ».[1]
Des dépassements dans les établissements de santé
Malgré l’importance capitale du respect du consentement et la clarté de la loi à ce sujet, il existe en pratique plusieurs éléments qui peuvent biaiser le jugement des professionnels de la santé relativement à l'appréciation du consentement. Par exemple, dans un contexte de garde en établissement, il arrive qu’on se fonde sur l’absence de résistance d’un individu à un examen psychiatrique afin de conclure automatiquement à son consentement.[2] Ou encore, certains déduiront l’inaptitude d’une personne tout simplement parce que celle-ci refuse un plan de soins, alors que la question n’aurait même pas été soulevée si elle avait au contraire accepté les soins.[3]
Le cas complexe des troubles mentaux
Un diagnostic de trouble de santé mentale constitue également un élément qui peut fortement biaiser l’opinion des professionnel.le.s de la santé. En effet, on peut apercevoir une tendance à assimiler une déficience cognitive ou psychique à une inaptitude à consentir, et ce, sans avoir réellement effectué les vérifications nécessaires. C’est notamment le cas de l’affaire J.M. c. Hôpital Jean-Talon précitée. Dans cette affaire, un homme ayant menacé de mort une inconnue dans un parc est conduit par des policiers à l’Hôpital Jean-Talon afin d’être placé en garde préventive. Il consent alors à une première évaluation psychiatrique et est diagnostiqué d’une psychose paranoïde ainsi que d’un début de schizophrénie. Il n’est initialement pas informé de ses droits par l’équipe de soins. Le patient est également maintenu en garde préventive à l’hôpital au-delà du délai prescrit par l’article 7 L.p.p..[4] Au courant de son séjour, il refuse une deuxième évaluation psychiatrique à laquelle on le force tout de même à se soumettre. La décision d’outrepasser le refus du patient ou de présumer qu’il n’est pas en mesure de consentir n’appartient pourtant pas au médecin, et ce, même lorsqu’il existe un diagnostic confirmant des troubles de santé mentale.
L’inaptitude à donner son consentement ne peut être prise à la légère ; afin de l’établir, il faut procéder à plusieurs examens et s’adresser au tribunal. Rappelons que par la présomption d’aptitude que garantit l’article 4 du Code civil, le fardeau de preuve repose sur celui qui conteste cette aptitude, et non le contraire (art. 2803 C.c.Q.). On ne peut donc pas arriver à la conclusion qu’une personne est inapte à consentir sans avoir réussi à inverser cette présomption.[5] C’est pourtant actuellement une pratique tolérée dans le système de santé québécois.
Vers des pistes de solution
Face à ce laxisme dans les hôpitaux, il serait pertinent de mieux sensibiliser le personnel médical aux enjeux de consentement à l’aide de formations obligatoires, tout en informant adéquatement les patients et patientes sur leurs droits. Le renforcement des sanctions en cas de non-respect des procédures légales pourrait aussi être envisagé afin de dissuader les abus.
L’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) propose également plusieurs autres solutions. Elle revendique notamment que le gouvernement mette en place des comités de surveillance afin d’assurer le respect des lois qui encadrent le consentement aux soins et la garde forcée. Elle propose aussi la création de centres de crises par le Ministère de la Santé et des Services sociaux partout dans la province afin de réduire le recours aux mécanismes d’exception coercitifs.[6] De telles mesures pourraient permettre de réduire l’écart entre la loi et son application et assurer ainsi une meilleure protection de nos droits les plus fondamentaux.
Protéger l’autonomie
Tout compte fait, la sauvegarde de l’autonomie et de la volonté est fondamentale en droit québécois et cela, le législateur nous le rappelle de manière assez redondante. Il est important d’œuvrer à ce que tous et toutes bénéficient également de cette large protection du consentement personnel garantie par la loi, particulièrement à l’égard des personnes plus vulnérables. Avec un peu de chance, la sensibilisation et les prises de parole entraîneront la mise en place de réelles mesures afin d’assurer un respect plus rigoureux de la loi en ce qui concerne le consentement médical.
Le consentement n’est pas une formalité ; il est la pierre angulaire du droit, mais surtout, du respect de la dignité humaine.
[1] J.M. c. Hôpital Jean-Talon du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l'Île-de-Montréal, 2018 QCCA 378 (CanLII), par. 38.
[2] Ibid, par. 60.
[3] Ibid, par. 58.
[4] Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui
[5] Institut Philippe Pinel de Montréal c. A.G., 1994 CanLII 6105 (QC CA), p.18-26.
[6] AGIDD-SMQ, « Nos revendications », https://www.agidd.org/mobilisation-nationale-concernant-la-loi-p-38/






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