Le financement du milieu communautaire : Un enjeu urgent
- Esther Hétu
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Esther Hétu
Du 20 au 24 octobre dernier, le mouvement Le communautaire à boutte![1], regroupant de nombreux organismes communautaires en Mauricie, a déclenché une grève générale. L’enjeu : le sous-financement chronique de l’État dans les organismes communautaires, qui se retrouvent dans une situation de précarité importante. Ces organismes estiment notamment qu’il faudrait 98 millions de dollars de plus de financement étatique uniquement en Mauricie pour que les organismes communautaires de la région puissent offrir des conditions de travail décentes à leurs travailleur.ses et répondre aux besoins de la population. Pour mieux comprendre les enjeux entourant le financement du milieu communautaire, il faut notamment aborder le rôle de l’État et des fondations privées dans celui-ci.
Le financement étatique
Depuis 2001 au Québec, l’action communautaire est régie par une politique, qui assure notamment l’autonomie des organismes communautaires. Concrètement, cela signifie qu’un organisme recevant des fonds de l’État conserve son autonomie dans le choix de ses actions et peut critiquer directement le gouvernement, ses politiques ou ses décisions, par exemple. Le financement des organismes s’organise de deux manières au Québec.Â
Tout d’abord, il y a le financement à la « mission » qui est unique au Québec, puisqu’il permet aux organismes de conserver une très grande autonomie sur leurs actions, donc de pouvoir modifier leurs pratiques selon les besoins, sans avoir à se plier à des manières de faire gouvernementales. Par ailleurs, le financement à la mission est toujours reconduit, à moins d’une faute grave, et est indexé chaque année, bien que l’indexation soit souvent insuffisante pour couvrir la hausse des coûts. Le financement à la mission est majoritairement octroyé par le gouvernement.
Le financement par projet, quant à lui, réduit significativement l’autonomie des organismes. En effet, les organismes qui ne reçoivent pas suffisamment de financement à la mission doivent aller chercher des subventions par projets. Ces offres changent selon les orientations du gouvernement ou de fondations privées, ou encore selon quelle précarité est la plus « sexy » du moment à financer, notamment dans une visée électoraliste pour le gouvernement. Par exemple, en 2023, des fonds gouvernementaux avaient été débloqués pour des organismes œuvrant auprès des demandeur.euses d’asile. En 2025, le gouvernement étant de plus en plus critiqué pour sa gestion de la crise de l’itinérance, la ministre de l’action communautaire, Chantal Rouleau, décida d’allouer ce fonds discrétionnaire aux organismes en itinérance, laissant de nombreux organismes en immigration dans une situation encore plus précaire (RAPSIM, 2025).
Les fondations dans tout ça
Au financement étatique viennent se greffer des fondations privées. Les fondations sont d’abord et avant tout un outil légal d’évasion fiscale : en créant une fondation et en donnant à celle-ci, les Québécois.es les plus riches diminuent leurs revenus imposables et paient donc moins d’impôts à l’État.Â
Plusieurs dispositions légales régissent le fonctionnement des fondations privées, notamment quant à l’obligation d’avoir un conseil d’administration qui les gèrent. Cependant, ce conseil d’administration peut être composé majoritairement de membres de la famille fondatrice (Fondations philanthropiques Canada, 2019, p. 12). Des normes réglementent aussi la proportion de dons que les fondations doivent effectuer chaque année : elles doivent redistribuer uniquement 5% de leurs actifs chaque année et peuvent inclure leurs frais administratifs dans ce calcul. Et le reste de leur argent ? Il est habituellement investi, afin de le faire fructifier. En échange de ces maigres dons, les revenus des fondations ne sont pas imposés. Puisqu’il n’y a actuellement pas de limite à la durée d’existence des fondations au Canada, une famille peut avoir le contrôle sur des milliards de dollars, incluant le choix d’entreprises dans lesquelles cet argent sera investi, sans être imposée, durant plusieurs générations (Mathieu de Lajartre, 2025).
Au-delà de la manière dont l’argent est distribué (ou non) par les fondations, on peut se questionner sur les impacts du financement privé d’organismes communautaires autonomes. En choisissant de financer certains secteurs du communautaire, les fondations contribuent indirectement à l’appauvrissement d’autres et à un financement asymétrique. Par ailleurs, lorsque ces fondations changent d’orientations, tout comme l’État, des secteurs du communautaire peuvent se retrouver soudainement en manque de sommes gigantesques.Â
Le désengagement de l’État
Devant l’importance des sommes que représentent les subventions provenant des fondations, le gouvernement québécois saisit l’opportunité de se désengager du financement du milieu communautaire, notamment en n’indexant pas les montants alloués au financement à la mission d’organismes financés par une fondation (Harvey, 2020). Le financement provenant des fondations n’est pourtant associé à aucune obligation de récurrence ou encore à une certaine approbation indépendante ou publique des organismes à financer.Â
Nous sommes donc en droit de nous demander si les meilleures personnes pour déterminer quels secteurs de lutte à la précarité doivent être financés adéquatement sont les Québécois.es les plus riches?Â
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Note de bas de page
[1] Pour plus d’information sur le mouvement et pour signer la pétition Le communautaire à boutte! : https://aboutte.infoÂ
Bibliographie
Fondations philantropiques Canada. (2019). Établir une fondation ; un guide pour les mécènes.
Harvey, N. (2020). Milieu communautaire et fondations privées : Des enjeux persistants. À bâbord !, 85, 36‑37.
Mathieu de Lajartre. (2025). Qui profite vraiment des fondations privées caritatives? CPA Canada. https://www.cpacanada.ca/fr/news/Accounting/Tax/charity-tax?fbclid=IwY2xjawNQ_M5leHRuA2FlbQIxMABicmlkETFsM3RWWjQ5SHdkTTU1UnlsAR4DS-omBaqNm1mJECzNbCFRBq1j35JOgfXzoOf9Pcydde5vO8UyviwVA5jEoQ_aem_9zhym3uqPeQ37VTODGYzFw
RAPSIM. (2025). Déshabiller les personnes en demande d’asile pour habiller les personnes en situation d’itinérance : Un très mauvais calcul. https://rapsim.org/2025/04/08/deshabiller-les-personnes-en-demande-dasile-pour-habiller-les-personnes-en-situation-ditinerance-un-tres-mauvais-calcul/


