Le PQ est-il devenu un parti populiste ?
- Frédéric Pigeon
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Frédéric Pigeon
« Le fédéralisme aplaventriste ne nous donnera rien d’autre que le déclin et le mépris. C’est l’indépendance, ou le déclin. » [1] Cette déclaration de Paul St-Pierre Plamondon en 2022 marquait un tournant décisif dans le discours du Parti Québécois (PQ). Elle incarne une rupture rhétorique fondamentale avec la tradition du parti, substituant à la pédagogie politique, un manichéisme agressif qui réduit le débat complexe sur l’avenir du Québec à une alternative simpliste. Ce nouveau narratif, fondé sur l’opposition entre un peuple vertueux et des élites méprisantes, s’apparente à s’y méprendre aux codes du populisme. Alors que le PQ connaît une résurgence dans les intentions de vote,cette stratégie de « populisation » soulève des questions fondamentales : assistons-nous à une adaptation tactique pour reconquérir l’électorat ou à une mutation idéologique durable? Le PQ est-il en train de se transformer en machine populiste, sacrifiant la substance du projet indépendantiste sur l’autel de l’efficacité électorale ?
Une rhétorique populiste assumée sous PSPP
La mutation rhétorique du PQ, orchestrée par Paul St-Pierre Plamondon (PSPP), s’articule sur des ressorts typiquement populistes. En effet, le discours manichéen peuple/élites occupe un place centrale , dessinant un clivage radical entre un « nous » québécois dépeint comme victime et les élites fédérales perçues comme oppressives. En érigeant le peuple québécois en dernier rempart de la vertu contre les manigances d'un « système » extérieur – le fédéral, présenté tour à tour comme indifférent ou hostile –, le PQ réactive un imaginaire de la résistance et substitue à la complexité identitaire un récit binaire sur la dépossession.
Cette posture victimaire s'accompagne d'une diabolisation systématique des institutions fédérales. Lors de son discours au Conseil national en avril 2024, PSPP déclara : « Notre réel adversaire n'est ni François Legault, ni la CAQ. Notre adversaire réel, c'est le régime politique fédéral qui nous nie et qui désormais planifie ouvertement et explicitement notre déclin ». [2] La rhétorique du déclin et de la menace existentielle alimente un climat d'urgence, légitimant l'idée d'un point de rupture où le statu quo n'est plus tolérable. Cette accusation ne bénéficie cependant que d'un faible soutien électoral selon les sondages de Pallas Data : une majorité de la population québécoise reste réticente à cette formule catastrophiste.
L’immigration, nouveau vecteur de simplification
Parallèlement, l'immigration devient un vecteur central de ce discours simplificateur. PSPP dénonce régulièrement les « politiques complètement irresponsables » du gouvernement fédéral en immigration, affirmant en novembre 2024 qu'on « construisait de toute pièce une crise sociale sans précédent ». En juillet 2025, il lie directement la criminalité chez les jeunes à l'immigration, dénonçant l'« émergence de groupes criminels nouveaux qui amènent au Québec des techniques de criminalité plus agressives ». [3] Ces déclarations illustrent une attribution univoque de multiples problèmes sociaux à une unique cause – l'immigration – une démarche typiquement populiste réductrice et xénophobe.
Médias sociaux et personnalisation du débat
Le rôle de PSPP se trouve magnifié par un recours accru aux médias sociaux, où son image et sa parole prévalent sur toute délibération collective. Le chef péquiste utilise une tonalité agressive et une rhétorique de l'urgence, comme en témoignent ses accusations envers Québec solidaire et sa critique du « wokisme ». En novembre 2024, il affirma que le wokisme est « un mouvement à proprement dit antidémocratique, qui refuse le dialogue et se sert de l'intimidation ». [4] Cette centralité favorise une structuration très émotionnelle du débat, où la quête d'authenticité et la dénonciation deviennent des leviers de mobilisation plus efficaces que l'argumentation rationnelle, correspondant aux ressorts classiques du populisme contemporain.
Les freins à une transformation populiste totale
Malgré des signes manifestes de « populisation », plusieurs freins puissants limitent une transformation radicale du PQ en parti populiste. D'abord, le projet indépendantiste du PQ reste solidement ancré dans une vision programmatique articulée. En effet, le plan d'immigration présenté en octobre 2024, intitulé « Un Québec libre de ses choix : pour un modèle viable en immigration », [5] constitue un document de fond qui, bien que politiquement tendu, dépasse la simple rhétorique émotionnelle. Le PQ demeure attaché à une tradition social-démocrate, visible dans ses positions sur l'éducation, les services publics et la francisation.
De même, l'organisation partisane du PQ, forte de son histoire institutionnelle, impose une discipline qui tempère toute dérive vers un populisme désincarné. Le processus de délibération interne et l'obligation de présenter une offre de gouvernance crédible maintiennent un équilibre entre innovation rhétorique et responsabilité politique. Le PQ n'a pas adopté le mode de gouvernance hyper-personnalisée caractéristique des partis populistes purs – ses structures internes demeurent actives.
Enfin, l'hétérogénéité de la base militante constitue un rempart contre la radicalisation idéologique. Comme l'analyse une étude universitaire du populisme au Québec, le contexte politique provincial se caractérise par la coexistence de trois formations majeures aux accents populistes – le PQ, Québec Solidaire et le Parti conservateur du Québec – dont les visions idéologiques divergent considérablement. Cette fragmentation signifie que plusieurs courants d'idées coexistent au sein du PQ, freinant ainsi l'adhésion complète au modèle populiste. [6]
Un parti « populisé » plutôt que populiste
Le Parti Québécois, sous la direction de Paul St-Pierre Plamondon, illustre bien la distinction entre un parti pleinement populiste et un parti « populisé », c’est-à-dire un parti qui adopte certains aspects du populisme — notamment dans sa communication politique et sa rhétorique —, sans en épouser la logique totale.
Premièrement, le recours aux thèmes populistes — le clivage peuple/élites, la dénonciation des « ennemis extérieurs » comme le fédéral ou l’immigration perçue comme facteur de déstabilisation — a permis au PQ de se (re)donner un souffle dans l’arène médiatique et électorale. Ces motifs oratoires visent à capter la colère ou l’insatisfaction populaire, mais relèvent davantage d’une stratégie électorale que d’un positionnement idéologique cohérent. Plusieurs analystes universitaires observent que le PQ utilise « le style populiste » par intermittence dans certains débats ou campagnes pour « réactiver » la mobilisation, en restant marqué par une tradition programmative et institutionnelle opposée à l’antiparlementarisme ou au rejet systématique de la médiation institutionnelle propre au populisme.
Une mutation tactique plus que idéologique
Le Parti Québécois présente plusieurs différences notables par rapport aux partis populistes purs. D’une part, il n’exprime pas une défiance radicale envers l’ensemble des institutions démocratiques et n’encourage pas l’exercice d’un leadership charismatique antidémocratique. Au contraire, la place du chef, bien que médiatisée et stratégique, demeure encadrée par des procédures internes classiques et une véritable culture de débat au sein du parti. Cette organisation favorise une dynamique collégiale qui s’oppose à la figure du leader omnipotent, typique des partis populistes stricts. De même, le PQ ne pratique pas le rejet global des élites, mais cible spécifiquement certains segments — par exemple les élites fédérales ou multiculturalistes — dans une démarche stratégique liée à la défense de la souveraineté, sans remettre en cause la légitimité générale du système démocratique ni la valeur du savoir technique ou scientifique.
De plus, la dimension programmatique du PQ et son ancrage social-démocrate demeurent solides, contrastant avec le discours anti-intellectuel et la simplification idéologique qui caractérisent les mouvements populistes authentiques. Ce processus de « populisation » s’apparente donc davantage à une adaptation tactique et discursive servant à mobiliser et capter l’attention en utilisant les ressorts affectifs du populisme (peuple victime, urgence, dénonciation), tout en conservant les fondements d’un parti traditionnel, structuré et pluraliste. Qualifier le PQ de parti « populisé » rend compte de cette évolution rhétorique et stratégique, sans ignorer ce qui continue de l’en distinguer : il s’agit moins d’une mutation idéologique profonde que d’un repositionnement opportuniste dans le contexte des enjeux électoraux actuels au Québec.
Toutefois il faut rester vigilant-e, la montée des idéologies de droite et d’extrême droite pourrait bien changer les choses de façon permanente dans les prochaines années.
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[1] Porter, Isabelle. « La «Gazette» se défend d’avoir manqué de respect envers René Lévesque ». 31 aout 2022, Le Devoir, https://www.ledevoir.com/politique/quebec/750744/le-chef-du-pq-denonce-une-caricature
[2] Fournier, Philippe. « Les appuis du PQ peuvent-ils croître davantage ou ont-ils atteint un plafond ? ». 12 mai 2024. https://www.qc125.ca/p/les-appuis-du-pq-peuvent-il-croitre [3] Bellerose, Patrick. « Criminalité chez les jeunes au Québec: une violence liée en partie à des groupes criminels issus de l’immigration, dit Paul St-Pierre Plamondon ». Journal de Montréal, 30 juillet 2025. https://www.journaldequebec.com/2025/07/30/criminalite-chez-les-jeunes--une-violence-liee-a-limmigration-dit-pspp [4] Lachance, Nicolas. « Affaire Bouazzi: charge en règle de PSPP contre le «wokisme» de QS ». 20 novembre 2024, Journal de Montréal. https://www.journaldequebec.com/2024/11/20/affaire-bouazzi--charge-en-regle-de-pspp-contre-le-wokisme-de-qs [5] Parti Québécois. « Le Parti Québécois présente son plan pour un modèle viable en immigration ». 28 octobre 2024. https://pq.org/nouvelles/le-parti-quebecois-presente-son-plan-pour-un-modele-viable-en-immigration/[6] Gravelle, Timothy B. et Medeiros, Mike. « Le populisme : un autre exemple d’exceptionnalisme québécois? ». Options Politique. 10 février 2023. https://policyoptions.irpp.org/2023/02/le-populisme-un-autre-exemple-dexceptionnalisme-quebecois/






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