Une roche dans le soulier, pas de porte clé
- Marika Lalime
- 10 juil.
- 4 min de lecture
Marika Lalime

La personne dans ce texte est fictive, mais représente de vrais problèmes de gens que j’ai côtoyés toute ma jeunesse. Le problème d’accès à la justice d’où je viens est réel, et ancré dans les mœurs de mes proches. Cette peur est réelle, ce sentiment de se faire justice « nous-mêmes » l’est encore plus. Le texte représente de réelles personnes, et de réels problèmes sociétaires, que j’ai vus trop souvent. Le but de choquer avec une histoire intense est de marquer l’esprit, de mettre la lumière sur des problèmes réels souvent ignorés.
On dirait que ça fait 10 ans qu’il est 10 heure. Plus je regarde dehors, moins je vois ce que j’observe. Sandra était supposée être là pour 9 heures. Encore en retard, comme toujours. Son chum Jason la laisse jamais sortir, est toujours en retard. Faut qu’elle se cache, attendre qu’il s’endorme sur le divan, la bière à la main, la cigarette à moitié éteinte. On est supposées aller travailler, comme toujours, au coin Ontario pis Valois, notre spot habituel. On a travaillé fort pour réussir à le prendre, ce coin-là. Y’a même fallu que Jason vienne une couple de fois, faire de la « watch ». Sandra finit par arriver, elle met son p’tit dans le coin, pauvre lui. Si j’ai ben une fierté, c’est celle de jamais avoir eu de morveux, des plans pour que toute l’argent se ramasse pour eux-autres, j’en ai besoin, moi aussi, de c’t’argent-là. Anyway, c’est ma sœur qui garde le flo pendant qu’on travaille, est pas ben intelligente mais a ferait pas de mal à une mouche. On se rend au coin, pis le premier client arrive. On travaille toujours de la même façon, chacune à son tour, mais souvent, on a nos réguliers. Une Honda noire claxonne, Sandra part pis s’assoit en avant. Je suis toute seule, pis j’attends. Y fait frette. J’ai pas de manteau, je me le suis fais voler il y a deux semaines dans un parc. C’est enfin à mon tour, Johnny arrive, je le connais bien, un vendeux de peanuts de Hochelag, bien connu dans notre monde. J’embarque en avant pis on part, il park son char dans une ruelle, pis descend son pantalon. Je fais ce que j’ai à faire, pis j’y demande mon prix. C’est là que toute change.
- Johnny, t’ser c’est 100$ comme d’habitude mais écoute je suis vraiment en retard sur le loyer, si tu peux me « front » un autre 100, m’a être reconnaissante.
- Heille ma tabarnak, c’est la cinquième fois cette année tu me demandes ça, y’a des osti de limites, t’es pas assez bonne pour c’te prix-là anyway.
Il sort un couteau, je panique. J’essaie de sortir mais il a barré les portes, il avait prévu son coup C’était pas une question d’argent, y voulait mon sang. La lame me transperce, le sang coule.
Il a dû me penser morte, parce que je reprends connaissance dans une ruelle, un peu plus loin d’où on était. J’ai mal, je pleure. Je vois flou, je tente de marcher. Un char s’arrête et me dit qu’il va appeler le 911. Non. Pas la police. J’ai trop de problèmes avec eux. Pis c’est jamais une bonne idée, pour le monde comme nous, d’appeler la police. J’y dis de pas faire ça mais il est trop tard, l’appel est fait. J’essaie de courir, je connais les short-cut, mais la police est trop rapide. On m’embarque dans l’ambulance, pis je me ramasse à l’hôpital. On me soigne, la lame n’a pas atteint d’organes important, je me ramasse avec des bandages pis c’est toute. On me dit que je suis ben chanceuse, ben ouais, ben chanceuse.
Le lendemain, la police vient me voir pis me pose des questions, je répond pas. Si je snitch, là m’a être morte pour vrai. La police prend le temps de me rappeler que je suis dans marde, que je dois ben de l’argent. Qu’est-ce tu veux que je fasse, je l’ai pas c’t’argent-là. C’t’encore 10h. c’est toujours 10h. Je peux pas aller travailler, y’a personne qui veut de ça, une vieille blessée qui pisse le sang au moindre mouvement. La police me dit que c’pas mon choix, de porter plainte ou non, l’État le fait de toute façon. Y va avoir enquête. Pis un procès. On me demande mon adresse, j’en ai pas, j’en ai pas eu depuis que j’ai quitté mon père, ça doit faire 10 ans de ça. Tu veux je fasse quoi. Je leur dis de laisser faire, que c’est de ma faute. Rien à faire. Si y trouvent c’est qui, y s’en va en prison, pis moi, à la morge.
Ça fait deux semaines je suis sortie de l’hôpital, pis la police débarque chez moi. La personne qui a appelé la police a vu le char de Johnny. Ils l’ont. Il est au poste. Je suis finie. Ils partent. Pis deux chars débarquent devant chez nous. Deux hommes. Deux gun. Je sors dehors. Ma sœur a pas besoin de voir ça. C’est fini. Deux gars. Deux guns. Deux balles. Deux trous. C’est fini.






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