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Vergangenheitsaufarbeitung : Venir à terme avec le passé

Stéphanie Hébert

Dernière mise à jour : 30 janv.

Stéphanie Hébert


« L’identité allemande n’existe pas sans Auschwitz », voilà les paroles du président allemand Joachim Gauck en 2016. L’identité allemande, dans les sphères restreintes dans lesquelles elle est permise d’exister, se doit d’être une existence avant tout de commémoration et de responsabilité.

 

Ce qui définit une identité nationale, c’est le partage de caractéristiques linguistiques, historiques et d’un système de valeurs qui ensemble permettent de fonder ce que l’on appelle une identité commune. C’est ce qui permet aux individus de s’identifier à un pays et à une société et idéalement, de vivre ensemble. Le problème avec un État tel que l’Allemagne, c’est que les concepts de fierté allemande ou encore de l’identité nationale ne sont que très peu présente dû à leurs relations compliquées avec leur histoire nationale.

 

Il faut dire qu’il existe une lourdeur à l’identité allemande. En effet, les allemand-e-s doivent consolider avec leurs implications dans les deux guerres mondiales — où ils en ressortent perdants — et iels portent sur eux la responsabilité de l’holocauste[1]. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi la division du pays pendant la période de la guerre froide qui marque profondément les allemand-e-s. On parle d’une séparation pendant plus de 25 ans, où l’accès à l’un et à l’autre était interdit. Les allemand-e-s de l’Est n’étaient plus les mêmes lorsque le mur de Berlin est tombé, et les allemand-e-s de l’Ouest sont méconnaissables elleux aussi. Les allemand-e-s se retrouvent alors inconnu-e-s face à leurs pairs.

 

Alors que le mur est érigé dans la période suivant le traumatisme de la Seconde Guerre, les questions telles que « C’est quoi, être allemand ? » et « peut-on être fier d’être allemand ? » se posent des deux côtés du mur et continuent d’être un véritable débat public encore à ce jour. Dès la réunification, les questionnements affluent. Pouvons-nous être allemand-e-s et fier-è-s ? Pouvons-nous pratiquer nos coutumes sans honte ? Avons-nous le droit de chanter notre hymne national ? Des questions qui peuvent sembler banales, même ridicules, mais lorsque nous observons une population en quête d’identité, ce sont des questions qui sont importantes à poser. 

 

Ce que nous retenons le plus de l’Allemagne, c’est la division du pays pendant presque trente ans à la suite de la Seconde Guerre mondiale ainsi que les actions commises sous le Troisième Reich. Toutefois, il existe aussi une période coloniale — et ainsi une période de décolonisation — qui marque le pays et influence toute aussi  la formation d’une identité allemande, ou dans ce cas-ci, l’absence de celle-ci.

 

Bien qu’elle soit brève comparée à celle des empires comme la France, l’Angleterre, l’Espagne ou encore la Belgique, la période coloniale de l’Allemagne a marqué l’histoire du pays. À la fin du 19e siècle, l’Allemagne de Bismarck colonise les territoires africains tels que le Burundi, le Rwanda, la Namibie, le Ghana et encore bien d’autres. Le premier génocide commis par l’Allemagne moderne est celui commis envers les peuples Héréros et Namas dans la Namibie actuelle. C’est 65 000 Héréros et 20 000 Namas qui seront victimes de ce véritable programme d’extermination et il faut attendre les années 1980 pour que les Nations unies approuvent la tenue d’une enquête sur ce génocide pour la première fois, puis le début des années 2000 pour que l’Allemagne reconnaisse leurs actes envers la Namibie. Dans ces mêmes années, soit en 2004, le ministre fédéral allemand Heidemarie Wieczorekzeul demande officiellement au peuple de Namibie de pardonner l’Allemagne. Il déclare, tel qu’iels l’ont fait pour l’holocauste, d’accepter la responsabilité morale et historique de cet événement. De plus, en mai 2021, les autorités allemandes reconnaissent le caractère génocidaire des actes commis et font la promesse d’un soutien financier de 1,1 milliard d’euros.

 

Aujourd’hui, seulement 30 % des Allemands seraient conscients de ce passé colonial, principalement dû au fait que le curriculum dans le système d’éducation allemand ne mentionne que très peu cette période, si elle le mentionne, et priorise plutôt une éducation complexe face à l’holocauste. Toutefois, que la période coloniale allemande soit connue ou non, elle influence tout de même le développement de l’identité allemande. 

 

Lorsque le Traité de Versailles est signé après la Première Guerre mondiale, les allemand-e-s doivent se défaire de leurs colonies. Selon certain-e-s allemand-e-s, la saisie de ces colonies est injuste et contribue à ce sentiment d’animosité grandissant chez la population allemande envers les pays alliés. La reconquête des anciennes colonies reste une idée présente, particulièrement chez les aristocrates et la bourgeoisie qui y voyaient un moyen de rétablir l’Allemagne comme une puissance économique de premier ordre. Cependant, cette idée s’éteint peu à peu, particulièrement lors de la période nazie entre 1933 et 1945, où les intentions de colonisation sont alors portées vers les pays de l’Europe de l’Ouest.

 

Bien que la période coloniale ne fait pas écho dans la mémoire collective des Allemands de la même manière que l’holocauste le fait, de plus en plus d’expert-e-s avancent que les brutalités commises par les colonisateurs allemands envers les peuples africains vont être prédécesseurs aux horreurs commises par les soldats allemands envers le peuple juif lors de la Seconde Guerre mondiale. Nombreux sont ceux avançant la théorie que la colonisation allemande de l’Afrique serait responsable du développement du concept de supériorité de la race allemande, qui par la suite serviront d’inspiration pour les théories nazies. Bien que l’idéologie nazie se développe beaucoup en lien avec les cultures nordiques de l’Europe, il ne faut pas mettre à l’écart l’influence de cette période sur le développement des différentes idées — telle que celles nazies — et qu’il est logique de prendre en considération que l’empire colonial ait laissé des traces dans la création de l’identité nationale allemande moderne. 

 

La complexité face à l’identité nationale allemande, c’est le défi auquel fait face l’Allemagne présentement. D’une part, nous retrouvons une véritable intention de commémoration face aux horreurs de l’holocauste, tel qu’il se doit, et d’une autre, nous observons en temps réel la montée de la droite. Non pas d’une droite économique ou encore d’un centrisme penchant vers la droite, mais bel et bien la montée de la droite, faisant appel à une rhétorique xénophobe et dangereuse. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les individus peuvent être attirés par les messages de l’extrême droite. Dans le cas de l’Allemagne, nous pouvons parler entre autres de deux. 


La première chose à retenir, c’est que le simple fait de perdre la Seconde Guerre mondiale ne fait pas taire la droite. Ce ne sont pas tous les nazis qui meurent ou qui s’exilent en Amérique du Sud et les idées fondamentales de la droite, elles, ne disparaissent pas non plus. Les partisan-n-e-s de la droite qui survivent la guerre se refont des vies puis élèvent leurs enfants dans les mêmes valeurs auxquelles iels adhèrent. Ça n’est en rien surprenant. Ensuite, le populisme — autant de gauche que de droite — vient répondre à des questions et des inquiétudes des gens qui se sentent défavorisés par le système. L’extrême droite allemande, contrairement à la gauche (extrême ou non) donne à ses adeptes quelque chose qu’iels n’ont pas ailleurs : une identité nationale forte et définie. Avec un mouvement tel que l’AFD (Alternative Für Deutschland), il devient alors possible pour ces allemand-e-s qui se sentent désavantagé-e-s par rapport aux autres — entre autres les personnes issues de l’immigration — ou qui tout simplement adhèrent aux mouvements de droite de pouvoir s’identifier à une identité allemande qui leur est propre. Avec l’AFD, ils peuvent se déculpabiliser des atrocités commises par le pays, ils peuvent être fiers d’être allemands, et le tout, évidemment, avec une bonne dose de xénophobie qui permet de faciliter leurs déresponsabilisations face au passé douloureux et collectif de leur nation. 

 

Alors que l’Allemagne a tout fait pour que chacun-e porte sur ses épaules la responsabilité de la lourdeur historique allemande, le pays semble avoir oublié — ou c’est délaissé de la responsabilité — d’établir une identité nationale qui est essentielle pour les populations. En écrasant le concept même d’identité commune, en refusant de répondre concrètement à la question « Comment être allemand-e-s ? », iels ont laissé la place à des générations entières sans réponses réelles et qui se tourne parfois vers le populisme de droite et aux idéologies de la droite. Avec l’arrivée imminente de l’AFD au pouvoir aux prochaines élections, il est clair que les allemand-e-s font face à une véritable crise identitaire. 



[1] L'Holocauste, survenu entre 1941 et 1945, désigne le génocide des Juifs par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Sous la direction d'Adolf Hitler, les nazis ont persécuté les Juifs et d'autres groupes, comme les Roms et les handicapés, en raison de leur idéologie raciste. Des millions de Juifs ont été tués, principalement dans des camps de concentration et d'extermination comme Auschwitz, où ils étaient gazés, fusillés ou mouraient de faim et de maladies. 



Bibliographie 



« Nationalité et citoyenneté en Allemagne aujourd’hui » https://shs.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2001-2-page-3?lang=fr 


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